(ultra) Light my fire
Il se passe clairement quelque chose dans le cinéma de genre américain, et après une série de réussites réjouissantes (It Follows, Hérédité, The Witch), on est nombreux à attendre de voir se...
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Il se passe clairement quelque chose dans le cinéma de genre américain, et après une série de réussites réjouissantes (It Follows, Hérédité, The Witch), on est nombreux à attendre de voir se transformer l’essai ; et en effet, les réalisateurs rivalisent d’audace, portés par des studios un peu moins frileux que d’habitude, nous gratifiant d’expériences comme Under the silver lake, Midsommar et aujourd’hui ce fameux Lighthouse, sollicité comme le messie lors de la Quinzaine des réalisateurs de la dernière édition du Festival de Cannes.
Les promesses d’originalité sont les mêmes : un format carré, du noir et blanc, un décor limité (une île, un phare) et un simple duo d’acteurs réunissant deux générations habituées au cinéma d’auteur, Dafoe et Pattinson.
Et force est de constater que la claque attendue semble prête à fuser dès les premières images. The Lighthouse est un superbe exercice formel, qu’il faut à tout prix apprécier en salle, pour se laisser happer par une image d’une densité impressionnante, qui sculpte les portraits et les objets dans des contrastes expressionnistes. Ce rapport à la matière fait la grande force du film, nous immergeant dans la chaux, le charbon, l’huile, l’alcool, au sein d’un bâtiment exigu qui semble suinter tandis que la bourrasque et les vagues épaississent constamment l’air lui-même. Le très important travail sur le son fusionne avec cette atmosphère suffocante et place le spectateur en immersion totale, forcé à partager cette mission ingrate qui va, bien évidemment, très vite tourner au cauchemar.
Quelques apparitions (une sirène, des tentacules, une mouette d’une agressivité étrange) instaurent un climat fantastique renforcé par cette mise en image d’un phare qui semble doté d’une vie propre, notamment à la faveur d’un lent travelling des fondations mécaniques jusqu’à son sommet où les optiques aveuglantes suscitent plus d’inquiétude que la fonction rassurante pour laquelle elles fonctionnent normalement. Une esthétique et un traitement qui ont valu au film d’Eggers d’être – abusivement – qualifié de lovecraftien.
Quant aux comédiens, ils s’en donnent à cœur joie pour se laisser aller à la toxicité des lieux, du vieux bourru alcoolique Dafoe au jeune arrivé Pattinson au point de vue duquel le spectateur est rivé, un peu à la manière de la narration dans Shutter Island. Le cabotinage arrive assez rapidement, et on n’est pas certains de vouloir les suivre dans cette beuverie gueularde en crescendo qui aboutit, comme il se doit, à une sorte de Shining avec des algues.
Parce que toutes ces qualités combinées ne permettent pas au film d’occulter sa grande vacuité. Toutes ces gesticulations ne permettent pas de distinguer un cap entre visions cauchemardesques, un bel interlude littéraire sur la malédiction de Neptune et un réel phagocyté par une aliénation croissante qui permet tout, et ne mène finalement nulle part.
Cruelle ironie : sur cette île perdue au milieu de la tempête, la lame de fond attendue reste en réalité très formelle.
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le 18 déc. 2019
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