The Limits of Control par Vadim
A tous ceux pour qui le pitch du film constituait son intérêt principal, il convient de déconseiller d'aller voir The Limits Of Control. Présenté comme l'histoire d'un tueur à gages doublé d'un road movie, on imagine Bankolé dans un nouveau Pulp Fiction qui rencontrerait Crossroads: la bande-annonce nous vend la présence d'acteurs fantastiques (Gael Garcia Bernal, Bill Murray, Paz de la Huerta (nue et magnifique), Tilda Swinton), mais pas aussi peu d'apparitions, et il est difficile de ne pas être désarçonné par le résultat.
The Limits Of Control est une poésie, mais le dire comme ça serait le réduire, en faire un cliché. TLOC est un film sur Isaach de Bankolé, sur sa démarche, sur son corps, sa présence hypnotique, sa stature, son immobilité surtout, son comportement, qui ne change jamais, sauf de costume, selon les lieux. Il ne parle presque pas des deux heures, ne rencontre presque personne et ne leur adresse pratiquement jamais la parole, à part pour énoncer des interdictions, et quand il le fait sa voix est d'une gravité à impressioner les curés.
TLOC est un film extrêmement lent. Il ne s'y passe rien, le sel possible de l'intrigue (comment va-t-il s'introduire chez l'Américain, le tuer), désamorcé, et on y suit seulement de Bankolé évoluer dans des espaces privés qu'il s'attache à ne pas violer de sa présence. Une des grandes forces du film consiste en ces plans toujours très courts, aux points de vue multiples, au cadrage désarçonnant parfois, coupant les corps sous la tête, se cachant derrière des obstacles, qui donnent à eux seuls un rythme visuel à une action inexistante. Ajoutez-y une bande son choisie avec un soin incroyable, et les paysages arides et éblouissants de désolation de l'Espagne, qui défilent derrière les vitres, et vous aurez un des films les plus beaux de l'année.
S'il fallait faire le lien avec un autre Jarmusch, j'aurais du mal à ne pas citer Coffee & Cigarettes. On y retrouve l'obsession pour des faits bizarres, les dialogues souvent à sens unique autour de deux cafés, toujours dans des tasses séparées, la récurrence de phrases clés, les plans sur les tasses, du dessus, des personnages enigmatiques et extravagants qui ne font que passer, 5 minutes en tout et pour tout autour du tueur, l'improvisation.
Défiant toutes les règles du genre de film "noir" où est mise en scène l'illégalité, Jarmusch offre un film sentimentalement neutre mais d'un point de vue photographique lumineux, sans sexe, et pourtant dieu sait qu'il eut été facile de, sans trahisons, sans technologie ni flingues, avec l'émotion du flamenco, une gallerie d'acteurs absurdes, mais avec sérieux, ce qui est sûrement la défintion du poète, en fin de compte, et la solitude du tueur, auquel les indices sont communiqués par un rituel presque comique, mettant fin à toute conversation superflue: Jarmusch a ici suffisamment d'originalité, de maestria et d'imagination pour faire un film qui ne parle pas de son sujet, et le faire avec grandeur.
Si vous avez deux heures à gagner, allez-y donc.