Je partais avec un sentiment assez contrasté avant de voir ce Lobster, à l’image de mon expérience de deux autres films de Lanthimos, enthousiasmé par Canine et rebuté par Alps, le cinéaste grec réalise donc son projet à l’international avec une accroche pour le moins originale et folle. D’ailleurs la bande annonce m’avait fortement intrigué, l'apriori penchait au final plutôt vers le favorable car j’apprécie toujours me plonger dans un imaginaire désaxé, enfin jusqu’à certaines limites …


Nous avons donc ici affaire à un futur dystopique où le couple est devenu une obligation sociale et la solitude un délit, la peine étant d’être transformé en l’animal de son choix au bout de 45 jours suite à une ultime tentative dans un hôtel mixte, sorte de pénitencier luxueux. Franchement j’ai aimé l’idée, l’ambition de Lanthimos est ici de proposer un miroir social, de l’emprisonnement de l’être, où pour se lier à l’autre il faut se soustraire à son lot de concessions, notre propre système nous dirige de plus en plus vers cette ligne avec cette dictature du paraitre que les médias nous renvoient continuellement, creusant plus profondément ce fossé entre la liberté et la nécessité. Après la question de l’engagement impératif comme indicateur de sociabilité a toujours existé mais je pense que Lanthimos a volontairement voulu grossir le trait pour nous faire comprendre à quel point l’autonomie de l’individu est une impasse, et le fait de découper son film en deux agit comme une dualité conceptuelle.


La première partie se déroule donc dans cet hôtel perdu dans la forêt, à l'intérieur d'un huis clos étouffant aux règles drastiques voire improbables, et c’est cette ironie qui fait qu’elle fonctionne, tout ce protocole rend la situation burlesque, du bal où les adultes s’invitent à danser comme des enfants à leur première boum aux femmes de chambre qui stimulent sexuellement les hommes pour les pousser à la frustration sans qu’ils puissent se masturber (main dans le grille-pain en guise de punition !). Et toutes ces personnes semblent totalement désincarnées, l’ambiance et morne sans forcément tomber dans l’austérité, d’ailleurs la musique appuie la dérision jusqu’au bout, la mise en scène propose autant de bonnes choses comme ces plans un peu lointains pour renforcer l’aspect microcosme comme des douteuses pour les ralentis, je n’ai pas trop compris l’intérêt.


Mais dans le fond ce qui reste très acerbe et efficace c’est de mettre en avant le fait que le couple fonctionne obligatoirement par des affinités, personnellement je trouve ça d’une absurdité sans nom mais c’est justement ce que la société veut nous faire croire, et ce monde dépeint par Lanthimos semble l’avoir intégralement assimilé, c’est audacieux encore une fois, poussant encore plus loin la limite de la servitude sentimentale (Whishaw qui se cogne pour saigner du nez comme sa conquête ou Farrell qui se force à ne pas broncher lorsque son cruel binôme tue son frère transformé en chien). C’est ce sadisme moral qui prend le pas sur l’humour à la fin de cette première partie, et le personnage de Farrell va craquer et tenter de retrouver sa liberté en fuyant dans les bois, zone de chasse des détenus où la dissidence y prédomine parmi les animaux tout fraichement relâchés en pleine nature.


Cette forêt et l’insurrection guidée par Seydoux représente donc l’antithèse de l’hôtel, le couple et l’entraide sont prohibés pour que l’individu se suffise à lui même face aux contraintes, et l’impression d’obstacle reste la même lorsque Farrell tombe amoureux de Weisz, où ils doivent s’habituer à une méthode de communication personnalisée pour ne pas se découvrir. C’est toujours malin dans l’écriture mais pour moi le problème c’est que le film en lui même ne s’élève pas, que les instincts primaires n’explosent pas (si ce n’est la scène du baiser fougueux lors du concerto de guitares, assez empruntée), tout reste beaucoup trop mécanique dans les intentions, on aimerait (enfin) de l’humain, de l’émotion, une vraie délivrance, et malheureusement elle n’arrive jamais. Du coup c’est frustrant, surtout que la mise en scène n’offre plus grand chose d’intéressant, et je ne pense pas que le jeu volontairement nonchalant des acteurs apporte une plus-value au propos (franchement le dialogue en français est catastrophique).


À mon sens Lanthimos s’est perdu dans ce qu’il a voulu démontrer à l’intérieur de ce dernier tiers, car à force de persévérer dans cette machinerie sans âme dûment pensé et prédécoupé il en oublie qu’un élan doit s’extirper pour provoquer une sensation, à la fois pour ses protagonistes que pour le spectateur. Force est de constater que dans ce film l’amour n’existe pas, l’alchimie Farrell-Weisz ne fonctionne pas, encore aurait elle été maladroite de prime abord pour se délivrer la beauté serait sortie vainqueur, mais niet, et le final a en plus pour objectif d’agir comme une synthèse mais encore et toujours c’est trop écrit, trop tiré par des ficelles, en somme l’accouchement d’un dispositif. Ce qui fait que personnellement je n’en ai rien ressorti à ce niveau là et c’est tout de même malheureux qu’avec tant d’idées de scénario le réalisateur n’arrive pas à faire passer quelque chose.


The Lobster apparait vraiment comme un gâchis, même si je reste déçu par ce calcul de Lanthimos je salue l’originalité du scénario et cette création d’univers livide et pantomimo-dramatique, la première moitié du film m’a convaincu par son décalage sarcastique et l’humour qui en découle, ce désir de glisser du poil à gratter dans le dos de la bienséance communautaire, mais la manière dont le projet tombe complètement à plat au fil de la seconde fait que le tout laisse un goût profondément amer, c’est dommage.

JimBo_Lebowski
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le 30 janv. 2016

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JimBo Lebowski

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