The Lobster fait partie de ces films qui font les frissons de l’annonce de la sélection, quelques mois avant le festival de Cannes : un pitch singulier, un casting de rêve prêt à se compromettre, et la machine à fantasme est lancée.
De fait, toute la force du projet réside bien dans son exposition : découvrir avec le personnage les mécanismes de cette dystopie dans laquelle le célibat est un crime, et l’amour réduit à une compatibilité physique, le plus souvent une tare (myopie, saignement de nez, infirmité…). Yorgos Lanthimos a toutes les cartes en main, et sait les distribuer avec une avarice efficace : la passivité mécanique de Colin Farrel, le glacis d’une photo froide sur un hôtel carcéral participent à la mise en place d’un effroi non dénué d’humour noir.
Alors que le protagoniste a 45 jours pour trouver l’amour, on assiste aux diverses stratégies de ses compagnons d’infortune pour échapper à la solution finale, celle d’être transformé en animal. Idée saugrenue et poétique, finalement assez peu exploitée, si ce n’est dans le défilé exotique qui peuplera la forêt de la deuxième partie, et dans la compagnie du chien, qui fut un jour le frère du personnage principal.
Le récit atteint son sommet dans la tentative de construire un couple avec une femme dénuée de tout sentiment. David imagine que feindre l’indifférence sera plus facile que cacher des sentiments qu’il a réellement. Se construit alors une relation glaçante, petite fable à l’intérieur de la grande, où le couple est un univers proprement concentrationnaire, et le personnage contraint à choisir entre une norme inhumaine et une révolte inconfortable.
Le film aurait clairement dû s’arrêter là, mais nous n’en sommes malheureusement qu’à la moitié.
En passant du côté des Solitaires, David réapprend un nouveau code, en miroir du précédent : ici, on tranche les lèvres de ceux qui s’embrassent, et on va semer la discorde chez les couples formés par le programme fascisant. La démonstration est plus qu’appuyée, et notre héros, un peu veule et ne cherchant qu’à survire, s’y soumet avec la même passivité qu’auparavant. Léa Seydoux, regard dur en chef de rebelles sous bâche plastique, est aussi peu convaincante qu’elle l’était en vamp dans Spectre, et on se serait volontiers passé de sa présence. Beaucoup trop longue, la deuxième partie du film s’enlise, ennuie fermement et tente laborieusement de grossir les noirs traits de la morbidité.
On aurait sans doute mieux accepté cette absence assumée de message si le film n’avait été si démonstratif sur sa deuxième moitié. L’absurdité, oui, la satire d’une société qui nous promet, voire nous force au bonheur, certes. Mais en inventant de nouvelles règles encore plus arbitraires, le réalisateur semble s’enfermer dans un autre totalitarisme, celui de sa propre écriture : à trop vouloir accabler ses personnages, il ne laisse plus grand-chose émerger. La gratuité de sa cruauté l’emporte sur le fond, et accouche d’une fable noire finalement assez prétentieuse.