-attention spoilers-

La nature dévore les hommes. Aguirre englouti dans l'Amazonie par Herzog. La dérive de Kurtz en guru new age dans la jungle vietnamienne d'Apocalypse Now par Coppola. Les hallucinations désertiques frappées par la foudre du Sorcerer par Friedkin. Au bout de l’immersion c’est souvent la mort, Into de Wild de Sean Penn nous le rappel, idéaliser mère nature est fatal. Paysage mental: dans un bon film d’aventure, l’illusion de la dualité intérieur/extérieur est abolie. Parfois au prix de la mort, toujours au prix d’un voyage.
En réalité, l'aventurier est-il soluble dans l'enfer vert ou dans sa propre hubris?

Film Conradien par excellence (auteur de Au Cœur des Tenèbres, dont est librement adapté Apocalypse Now), chez qui l’aventure se caractérise par l’abolition du romantisme, d’abord enchantement prometteur de l'ailleurs puis déception dans l’épreuve, le film s'applique à montrer les évènements avec un réalisme magique, et un minimum de mouvement de caméra pour laisser les paysages prendre toute leur démesure. James Gray dessine les contours de la mélancolie de Fawcett l’aventurier géographe. Ici, sa vie victorienne bourgeoise ne l’empêchera pas de tout quitter, porté par une ardeur déraisonnable et l'illusion d'un ailleurs grandiose (un EL Dorado légendaire), et rien ne pourra retenir sa volonté d’accomplir un exploit héroique. Même pas l'échec.

Personne ne reussit tout ce qu’il entreprend, en ce sens nous sommes tous des ratés. Mais la leçon ici est que nous ne sommes pas tous des aventuriers, seul celui poursuit et ordonne ses efforts dans sa vie mérite ce titre. Je ne suis maître que de son commencement, mais pas de la fin de l’aventure. Ulysse devient Péneloppe, il recommence son ouvrage.
Cet amer constat sera fait au prix de nombreuses souffrances.

Dans une scène déchirante, sa femme s'élève contre l'injustice dêtre privée de cette aventure et réduite au rôle de mère au foyer. Le film ne fait pas l'économie du sacrifice de la famille, aspect rare dans un genre dominé par un masculinisme narcissique.
Rare, donc, la où le héros est souvent un modèle de solitude résignée, virilité de l’isolement borné, souvent confondue avec une certaine idée de l’autonomie à la Thoreau. Fawcett sera privé de sa paternité, de voir grandir ses enfants (il rate la naissance de son second fils), de les élever et d’apprécier l’affection des siens. Son ainé ne le reconnaitra pas a son retour du premier voyage et lui demande s'il est bien son père.

‘What kind of fool am I to abandon my family like this?’ La relation la plus émouvante et inattendue sera avec son fils. Bien entendu, son obsession sera transmise en héritage et celui-ci voudra evidemment comprendre pourquoi son père lui a préféré ses expeditions à leur relation.

Le dernier chapitre nous offre un recommencement épique. Le talent troublant de Gray de conjuguer reconstitution anthropologique réaliste avec un rythme presque documentaire, et la maîtrise maniériste de la photographie, dont le clair obscur des torches enflammées dans la jungle bolivienne confine au fantastique, la musique de Christopher Spelman s’élève et l’enchantement se produit. On est comme nos explorateurs, soudain saisit par une melodie émise au loin derriere les feuillages, etonnés de trouver une representation d’opéra au coeur de nulle part. Le surgissement esthétique est une des récompense pour le voyageur chanceux.

Si le cinéma est l'art qui a pour matière la durée, le film d'aventure, ou dans une moindre mesure le film d'action, explore une modalité du Temps. C'est l'ennui, là où se révèle justement la réalité du temps, qui est l'enjeu central de ce film : saisir des manières de vivre le temps, qui le plus souvent passe, qui, le plus souvent se cache derrière les passe-temps.

Jankelevitch nous apprend que l’aventure n’existe pas, qu’elle est une façon que nous avons de vivre le temps.
"L’Aventure, l’Ennui et le Sérieux sont trois manières dissemblables de considérer le temps. Ce qui est vécu, et passionnément espéré dans l’aventure, c’est le surgissement de l’avenir. L’ennui, par contre, est vécu plutôt au présent : certes l’ennui se réduit souvent à la crainte de s’ennuyer, et cette appréhension, qui fait tout notre ennui, est incontestablement braquée vers le futur »
Au départ, il y a l'hubris. Pour la gloire, la science ou au nom de la civilisation, le conquérant se brise toujours contre la réalité. La quête de la cité perdue ou autres trésors, la récompense n'est pas toujours donnée à celui qui cherche, mais l’aventurier est très certainement confronté à la mort dun l’idéal et dévoile une nouvelle connaissance de soi. Sa réalité est transformée, tuée dans la forme d'une nature qui lui resiste, le désoriente, ruine sa raison. Seuls deux choix s'imposent à lui avant qu’il ne soit trop tard, revenir au point de départ ou revenir à l'état sauvage. Telle est l'ulltime paradoxe de la survie; moins vivre ou perdre son humanité. S’il n’ya pas d’aventure sans danger de mort, c’est encore le moindre des maux comparés à ceux là.
Au début du film, après avoir abbatu un cerf lors d’une partie de chasse, notre héros résume ce danger avec un toast ‘To death, the best source of life'

Ceci n'est pas un film d'aventure mais un film sur l'aventure.

Elle n’existe pas. Sauf au cinéma.

"Toutes les routes sont longues qui mènent vers ce que le coeur désire."
- Joseph Conrad

"Elle est là
Elle va au-delà du bien du mal
Je connais sa loi sans lendemain
Ça m'est égal, demain est loin
L'aventure c'est l'aventure
Elle est pareille à l'amour
Elle est en moi pour toujours"
- L’aventure c’est l’aventure, Johnny Hallyday

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le 12 janv. 2018

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forêt fantôme

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