Journal de bord - Jour 15

--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au seizième épisode de la septième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :

https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163

Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :

https://www.senscritique.com/liste/les_petites_sirenes/3094904?page=1

Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---

Il y a quasiment systématiquement ce moment dans le mois-monstre, extrêmement riche en émotions, où, alors que je n'attendais rien de particulier du film que je visionne, ça y est, je l'ai sous les yeux, le meilleur film du mois, le plus beau film traitant du monstre que je met à l'honneur. Parfois ça arrive très tôt et je me sens soudainement vidée de tout intérêt pour regarder les films qui suivront, tout en espérant que, peut-être, je me suis trompée (le mois-monstre est très souvent peuplé de twists et de rebondissements). Parfois ça arrive à la fin et je vois le film comme le sauveur d'une situation qui commençait à devenir affligeante, comme une récompense pour avoir tenu bon tout ce temps. Cette année c'est au milieu. Cette année c'est ce soir.

Alors peut-être que The Lure n'est pas le meilleur film du mois. J'attends encore beaucoup de The Nice Guys et surtout de Lou et l'île aux sirènes. D'ailleurs, je crois bien que je peux dès à présent affirmer que The Lure n'est pas le meilleur film du mois, puisqu'en toute honnêteté, Ondine et Ponyo sur la falaise, sont de meilleurs films que The Lure. Mais pas des meilleurs films de sirène. En aucun cas. Car The Lure me laisse l'éblouissant sentiment d'avoir tout compris aux sirènes. Leur dualité entre féerie et dangerosité, leurs propres tiraillements, et ce que disent d'elles, vraiment, profondément, les contes et légendes qui les ont créées. Donc The Lure est une comédie musicale polonaise d'horreur et de romance librement adapté de La Petite Sirène. Oui. Et c'est un bijou. Car chacune de ces chose qui semble dissonante est en fait traitée avec une maîtrise qui frôle la perfection, et s'imbrique comme des rouages subtiles, jusqu'à devenir interdépendantes. Ce ne sont pas des choses qu'on a empilé un peu n'importe comment et qui finissent par ressembler à ces jardins ensevelit de machins clignotants en période de Noël, qui affichent plein de bonnes intentions mais qui dégoulinent de mauvais goût. Non, ici c'est de l’orfèvrerie et de la joaillerie, et chaque aspect du film en aide un autre à avancer, tant et si bien que tout se tient dans la plus absolue des cohérence, comme si finalement, un film d'horreur qui soit aussi une romance et une comédie musicale, c'était un genre tout ce qu'il y a de plus normal. La comédie musicale déclenche la romance, qui elle même déclenche l'horreur, qui elle même décale la comédie musicale, et ça recommence. Même mon discours, que j'essaye pourtant de rendre le plus clair possible, n'est pas aussi limpide et évident que le film. Ajoutons à ça que chacun de ces aspects, même pris séparément, formerait un film d'une très haute qualité. Les chansons sont tops, d'une diversité extraordinairement enthousiasmante, très habitées par des interprètes d'un grand talent, et les chorégraphies qui les accompagnent, des corps et de la caméra, sont aussi complexes qu'harmonieuses. La romance est une interprétation moderne et pleine de sens de La Petite Sirène, enveloppant dans une histoire absurde et cruelle, donc extrêmement réaliste, des personnalités à la fois complexes et faciles à cerner. Je pense d'ailleurs qu'Andersen lui-même aurait bien mieux reconnu ses propres amours contrariés dans le film de ce soir que dans n'importe quelle autre Petite Sirène adaptée au cinéma jusqu'à présent (et je ne parle pas que de la superstar des studios Disney). Quant à l'horreur... Je suis plus que comblée. Non seulement on me sers, enfin, des sirènes horrifiques vraiment formidables, qui jouent justement sur la dualité dont je parlais en début de critique, plus ou moins intentionnellement, entre leur innocence factice et leur cruauté dissimulée. Mais surtout, non content de les ré-inventer et d'offrir enfin le crédit qu'elle mérite en tant que créature d'épouvante aux sirènes, le film convoque l'imaginaire de tout un bestiaire bien plus expérimenté en film d'horreur. J'ai presque envie d'écrire que The Lure, non content d'être le meilleur film de sirène de l'Histoire du cinéma, n'est pas loin d'être un des meilleur film de loup-garou également. Certes, le cinéma ayant boudé mon espèce, il y a peu de concurrent sérieux, mais cette sirène chasseuse, cruelle, avide et affamée, certains feraient mieux de s'en inspirer... Factuellement, il n'y a pas de vampire, il n'y a pas de loup-garou, mais cette sirène lesbienne (oui, aussi, quand je dis que ce film est parfait!) les incarnent tous, tous en même temps, sans que ça semble le moins du monde incohérent ou schizophrène. Le tout est baigné dans une image d'une finesse somptueuse, définitivement pop et rétro. Moi qui me lamentais de n'avoir pas eu le droit à un seul film des années 70 dans ce mois-sirènes, elles me sont servie dans toute leur grandiloquence par le film de ce soir, qui leur rend hommage quelques 40 ans plus tard. Et pour couronner le tout, le film se targue de la plus belle affiche du mois. Franchement les polonais, merci, je reviendrais (incroyable, c'était le premier film polonais des mois-monstre!).

Les sorcières ont comploté à bord toute la journée, avec des éclats de rire et des sourires entendus. Je crois que leur blague de sirène n'en est qu'à son début...