Je ne connais pas Mani Kaul (et c'est sans doute une erreur) mais je perçois dans "Mati Manas" une sensibilité particulière, une tendresse dans le regard qu'il porte sur l'acte de l'artisan potier en Inde, avec une part de poésie à plusieurs niveaux. Poésie évidemment dans la voix off qui accompagne les images et qui évoque la majeure partie du temps des récits de mythes et de légendes (qui me sont totalement) étrangers, dans le but de former une sorte de symbiose avec les créations qui sont en train de voir le jour — certains objets seront destinés à l'usage quotidien quand d'autres sont de véritables œuvres d'art. À ce titre, d'ailleurs, on vogue allègrement de musées en maisons, d'intérieurs en extérieurs, pour observer sous toutes ses coutures l'art de la poterie indienne.
Poésie également dans les motifs graphiques qui s'agencent en dehors des séquences dédiées à la poterie elle-même : on observe des chatons logés dans un vase lui-même situé au milieu d'une grande quantité de vases, le tout formant un joli décor non-loin du potier, on navigue dans les rues en longeant les maisons ornées de tuiles, et on regarde les préparatifs avant le geste technique du potier pour allumer un feu, mettre en place le disque de pierre qui engendrera le mouvement de rotation, etc. 1h30 de divagations poétiques à travers une belle diversité de perspectives, entre poterie d'hier et poterie d'aujourd'hui. Les objets émergent lentement de ces tas d'argiles au creux d'un spectacle hypnotisant. Mani Kaul n'était selon un témoignage pas particulièrement intéressé par la poterie de musée ("un catalogue de jolie choses") et certains conservateurs s'en sont plaint à l'époque du film, une commande pour un festival. "I wanted to know the anguish of the potter through my own anguish as a filmmaker." Le résultat se situe dans la zone trouble et grise à la frontière du geste documentaire et de l'évocation d'une fiction.