Poison Girl
Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...
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le 8 juin 2016
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La jumelle innocente de Deneuve dans Répulsion s'incruste dans un Suspiria US, agrémenté de vulgarité pop sophistiquée et de vaporwave anticipée. Quand l'adulte fait le film Z ahuri et opulent que l'ado déglingué mijotait, loyalement mais avec une hauteur désinvolte, ça donne Neon Demon. Winding Refn s'est engagé dans une sorte de délire régressif, systématisé, radical. Le protagoniste, Jesse interprétée par Elle Fanning, est l'ambassadeur du réalisateur. Elle est d'abord une gamine humble par la force des choses, seulement belle et le sachant, mais encore fragile. Ambitieuse, elle se sait susceptible d'être dévorée : elle doit être prudente et s'adapter. Mais elle a déjà un fond solide, l'expérience (vraie ou non) d'orpheline aidant (ce pourrait aussi bien être un ressenti, une espèce de conviction). Après avoir été adoubée, reconnue et jalousée, elle pourra savourer sa réussite avec une arrogance sereine, sans méchanceté au-delà du nécessaire.
Elle est éblouissante au milieu d'un panier de crabes tristes et méchants. Elle a naturellement ce que les autres convoitent. Les autres mannequins tâchent d'imiter des images reconnues ou fantasmées, généralement dictées de l'extérieur ; Gigi fait preuve de subtilité et de classicisme, elle vise un archétype plus élevé, pas otage du présent. Mais toutes sont démunies face à la tornade aux allures dociles qu'est Jesse. Elle n'a pas besoin de s'inscrire dans ces processus ni de travailler en profondeur son propre corps ; elle s'invite et obtient directement la réussite, prend la lumière, car c'est sa place naturelle ; sa vocation. Jesse est parfaite et le propos est abattu sans cesse ; directement clamé, à de multiples reprises ; il occupe presque tous les dialogues un peu longs en fait. Bronson aussi était light dans son propos, carrément figuratif, mais autorisait davantage d'épaisseurs, se permettait des risques à un rythme sûr, n'avait pas cette compulsion à jouer du mauvais goût calculé. Neon Demon a une très jolie plastique, mais polluée par la grossièreté constante, la superficialité exacerbée – sans compter les excès qui font partie du principe mais ne corrompent rien (autrement dit ne bousculent rien en interne).
Malgré l'éloge criard de la 'vraie' beauté, le film, le réalisateur et la protagoniste s'en détournent activement, ou du moins exultent ce qu'ils désignent ainsi dans l'artifice complet. Ils trempent dans des sublimations d'emprunts mais ont leur authenticité et leur génie originel pour transcender ces pauvres écrins ; de vrais réformateurs, qui ont pris leur revanche ! Quoiqu'il arrive le fétichisme absolu restera à l'ordre du jour. La marque NWR s'imprime, le film est son faire-valoir ; pour l'auteur ça doit être une espèce de simulation accomplie, un montage personnel où le chaland peut se balader (et s'ébahir ou plus si affinités) pour jouir de morceaux reliés avec nonchalance. Le film lui-même se comporte en pute de luxe glacée, offrant de quoi flatter des attentes ou des espoirs réservés à la pure imagination ; Winding Refn est encore une fois un de ces auteurs servant des images à la mesure des fantaisies de son ego et capables de s'insérer ou de faire écho aux rêvasseries des autres – sinon à en loger dans les boîtes démunies mais folles d'envies. Le programme est très froid, anti-festif (même quand c'est le lieu 'en théorie' – il est d'abord question de prédation et de promotion), divisé entre dérision et glorification de ces intégristes du faux éclatant, au travail géant, démoniaque.
La dernière partie est moins flashy, plus renfermée ; un délire mortuaire et lesbien, avec princesse narcisse dans ses appartements, puis le syndicat des bihatchs d'élite poursuivi par de vilaines séquelles. Winding Refn va au bout de ses délires post-chrétiens, envoie Jesse dans l'ésotérisme et le culte égotiste (le clip et le triangle où elle embrasse ses reflets), effaçant officiellement les compromissions et les ambiguïtés. C'est une conversion à double-tranchant, où le neon demon peut l'emporter – d'ailleurs son triomphe matériel et son emprise érotique perdurent. Avec Jesse, quand les gestionnaires cyniques du monde de la mode jouissent d'une telle prise pour ce qu'elle 'est', il faut le comprendre à tous les degrés. Ils ne tiennent pas un de ces décalques ni une performeuse (elle pourrait être peu saillante sur ce point), ils ont l'opportunité rare de corrompre une pureté, une originalité inespérées. Winding Refn aussi serait le naïf-génie, débarqué au milieu de prédateurs rompus, professionnels plus ou moins brillants ; et leur vainqueur grâce à son supplément de goût et d'univers. L'ironie c'est que Jesse est louée au maximum par ces représentants lorsqu'elle est devenue une baudruche naturelle augmentée, peinturlurée comme une petite fille passive mais mégalo.
Quand le manager s'exalte sur son cas et la compare à Gigi, elle est pourtant couverture de dégueulis – chatoyant certes, pendant que Gigi a une présentation plus sobre ; et tout cet être artificiel ('la femme bionique') répond aux canons de la beauté établis chez l'espèce. La plus mammifère à ce moment, c'est Jesse ; et en plus à son tour elle est 'morte' en se faisant également étiqueter. C'est juste la meilleure momie fraîche à son avènement. Au moins Gigi (complexée hyper-compensatoire, émouvante pour tous ses sacrifices, respectable pour sa réussite, désirable de toutes façons) s'inspire des valeurs sûres et s'aligne sur une exigence extrême ; Jesse, sûre de sa splendeur infuse, est prête à se faire récupérer par les virtuoses dominants ou les caprices du moment. Suivant cette perspective, les atours gluants et décadents de la BO (malgré la ligne générale merveilleuse – l'ensemble assuré par Cliff Martinez), le générique final occupé par le Rnb de Sia sont logiques ; NWR comme H&M ou YSL, y a -t-il des contrats à signer, des alliances à nouer, des guerres à se déclarer ? Effet bizarre, un peu comme s'il y avait des industries Bunuel (le sectionneur d’œil via Un chien andalou), dont voici la saison 2016, glamour et toxique.
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le 29 déc. 2016
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