Plus de deux semaines après sa sortie officielle j’imagine que tout à été dit sur ce film, je vais tout de même rajouter ma modeste pierre à l’édifice, car malgré mon petit retard je l’attendais de pied ferme ce Neon Demon, sans forcément être un client vorace de Nicolas Winding Refn (surtout depuis Drive) les trailers électro-kaléidoscopiques avaient donné le ton d’une expérience atypique et donc rarissime en salles, tout ce qu’on demande (non ?). Le cinéaste danois mise sur le monde impitoyable de la mode, de ces jeunes femmes vampirisées par ce milieu rutilant, l’objectif était donc de nous ouvrir la porte du domaine pour y apposer un point de vue sur son cinéma, car force est de constater qu’on retrouve ici en quelque sorte l’apogée de sa démarche artistique.


Belle et fraiche comme le jour Jesse (Elle Fanning) va donc être l’héroïne de ce tourbillon enivrant, jeune orpheline californienne catapultée sous les crépitements des flashs et laissant son corps à la science de l’instantané, s'attirant rapidement la jalousie de ses consœurs et provoquant la fascination des créateurs les plus intransigeants, le tapis est dressé, les paillettes sont lâchées, un avenir en or. Seulement la perfection se paye et la nature humaine reprend ses droits dans la jungle des apparences, sous la pression des néons aveuglants les masques tombent, un lancinant jeu de vices jusqu’à ce que mort s’en suive. Refn dépeint son univers de manière évidemment formelle où sa plasticité léchée apparait à chaque plan, cultivant toujours aussi bien son écrin et ce d’une façon pour le coup absolument cohérente par rapport au sujet et au contexte, utilisant l’espace pour à la fois épurer le cadre, nous laissant une place pour respirer et nous immerger, avant de l’enflammer pour laisser nos sens vibrer à l’unisson. Et c’est justement tout ce qui manquait par exemple à son précédent film Only God Forgives, qui au delà de sa beauté esthétique indiscutable cloisonnait quelque peu son spectateur, ici le format est je trouve plus généreux, avec également une part davantage confiée aux dialogues, le personnage de Elle Fanning reste loin de l’identité mutique interchangeable qu’avait construit Refn avec Ryan Gosling.


L’ambiance est assurément la pièce maitresse de The Neon Demon, marquant une évolution et des ambivalences en matière de tons et de thématiques, passer de l’innocence immaculée liée à la dramaturgie d’un conte de fée moderne jusqu’à la perversité sordide et sanglante affiliée aux classiques (tendance série B) de l’horreur, il est nécessaire que le spectateur soit disposé à accepter ce genre de mutations pour ne pas se perdre en chemin et louper ce degré obsessionnel de Refn pour la beauté en son entité propre. Car ce qui est avant tout intéressant dans ce film c’est toute la grâce indicible du personnage de Jesse, comme si ce n’était qu’une sorte d’être surnaturel troublant son environnement, on le voit dans les regards, qu’ils soient admiratifs, dédaigneux ou gorgés de fantasmes, elle atterrit du jour au lendemain dans ce monde inflexible pour directement marquer son emprunte laissant sur le carreau les rodées du casting, impossible donc de laisser indifférent … À partir de là une menace va flotter autour de sa jolie tête blonde, affublée à l’écran d’une symbolique bestiale comme ce puma s’introduisant dans sa chambre de motel (que l’on reverra plus tard sous une autre forme pour y faire directement un lien), cette pleine lune éclairant la nuit et inévitablement associée au mythe du loup garou ou encore le vampirisme où le sang sert de ressource vitale pour mannequin rival, il y a souvent cette notion de chair fraiche, où Jessie pourrait être cette brebis égarée au milieu des louves.


La séquence frénétique du défilé marque un tournant dans la logique narrative du film, sans doute son zénith esthétique rappelant au passage le travail d’Henri-Georges Clouzot sur Romy Schneider pour son Enfer inachevé, on y décèle les premières traces d’une transformation chez Jessie, semblant se dédoubler dans un triangle de verre par les reflets de visages et les couleurs disparates, libérant son côté sombre et possiblement narcissique. L’idée du miroir revient d’ailleurs très souvent comme indicatif de réfraction plaçant les figures d’opposition avec même parfois beaucoup d’habileté dans la mise en scène, évoquant jusqu’à la sorcellerie dans la dernière partie où Jena Malone, frustrée de désirs, trace un sceau emprisonnant Elle Fanning. Cette fameuse partie qui n’est pas sans rappeler le Suspiria de Argento est tout de même amenée quelque peu étrangement dans le sens où le personnage de Jesse se dévoile sous un tout autre jour sans vraiment prévenir, lâchant au bord de la piscine qu’elle est dangereuse, enfin indirectement dangereuse, comme si elle se jetait elle-même en pâture, mais pourquoi ? J’avoue que je sèche (est-elle possédée par le fameux démon du néon ?). Et la grandiloquence symbolique et sanglante qui suit ne manque pas de dérouter bien que les références soient plus ou moins ciblées (la trinité maléfique contre la figure christique ou le bain de sang de vierges de la comtesse Bàthory comme source de rajeunissement), on bascule à pleins pieds dans le fantastique érotico-morbide, où il faut dévorer l’autre pour exister, au sens propre comme au figuré, la loi de la jungle.


The Neon Demon est plus qu’une satire du monde de la mode, plus qu’une prétendue coquille vide, plus qu’un film multi-facettes, c’est une œuvre d’art folle et épileptique où Refn trouve le juste milieu entre sur-esthétisme et construction scénaristique, épaulé d’une bande originale électro hypnotique et obsédante soulignant parfaitement l’ambiance et le mystère. Expérience visuelle unique en salles donc, mais également sensitive et immersive au possible, rarement un siège de cinéma n’aura été aussi accueillant et confortable pendant ces deux heures défilant à toute berzingue, objet précieux et audacieux, Nicolas ne serait-il finalement pas un as du 7ème art ? Adulé ou détesté il continuera très certainement à déchainer les passions avec un plaisir non dissimulé, toujours le poing levé.


8,5/10

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le 24 juin 2016

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JimBo Lebowski

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