Poison Girl
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le 8 juin 2016
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Miroir mon beau miroir, dis-moi qui est la plus belle.
Le cinéma esthétique de Nicolas Winding Refn s’attache dans Neon Demon à aborder la beauté sous la forme d’une couverture de papier glacé. Dans son univers froid et glitter, une forme est récurrente, pour ne pas dire omniprésente : le miroir.
Le réalisateur filme le reflet comme l’original, de manière à brouiller sur quel côté du miroir on se situe. Alice n’a pas sauté au fond du terrier, mais s’est hissé dans le néant du podium de mode.
Le miroir reflète le monde extérieur dans un espace réduit. Il a ce pouvoir presque magique de le réduire, de le synthétiser et de le limiter dans un cadre, le concentrant dans son unité. Un film fonctionne de la manière, pouvant aussi déformer, réduire le champ, reproduire à l’infini ou même fragmenter le réel quand il est brisé.
De qui Jesse, cette jeune beauté provinciale à la recherche de la gloire, est-elle le reflet ? D’une génération artificielle ? D’une volonté de liberté ? D’un moi plus profond ? D’une frustration maternelle ?
« La méprise consiste toujours à identifier son reflet comme un autre (souvent sexuel), et surtout, à prendre l’image ou le reflet pour l’être, la représentation pour la chose, à ignorer par conséquent le principe même de la représentation. […]Lorsque le regard est capturé et captivé par le miroir, et le spectateur victime de son pouvoir déformant ou de ses illusions, le miroir se fait néfaste tout en dénonçant la perversion. » Fabienne Pomel, dans ses réflexions sur le miroir
Dans ce monde de requin à hauts, l’harmonie de l’image dans le miroir s’oppose à la fureur des pulsions. J’ai un moment cru que cette phrase résumait en lui-même le film.
« La beauté ne fait pas tout. Elle est tout. »
Sauf qu’il s’agit d’un simulacre de vérité. Dans le film de Refn, la beauté n’a aucune valeur intrinsèque. Elle n’a de prix que dans le regard de l’autre, miroir sociétal de la norme.
« I guess I wanted to make a film about beauty. I wasn't born beautiful, but my wife [Liv Corfixen] was. I thought, 'I wonder what it would be like?'. I also find it interesting that the obsession with beauty continues to rise as career longevity [within the industry] begins to drop, so I wondered what happens when it begins to feed on itself to sustain its lifeflow. » Nicolas Winding Refn (interview en anglais, que je ne me sens pas de traduire)
Selon moi, Neon Demon n’est pas tant le reflet de la beauté que celui du cinéma de Refn, de son image du cinéma.
« Mon adolescence et mes jeunes années ont consisté à regarder un maximum de films, à plonger tête en avant au cœur d’un monde artificiel où j’ai voulu vivre. Où j’ai souhaité coexister avec des illusions. Au bout d’un moment, on se rend compte que tout est faux et irréel. L’idée que le cinéma est mort ne m’a jamais quitté. C’est un tombeau en fin de compte. » Nicolas Winding Refn
En faisant quelques recherches, je suis tombé sur le texte « Miroirs philosophiques : vertus et perversions du reflet de soi » par Frédéric Le Blay où il évoque les écrits de Sénèque sur
Hostius Quadra. Je trouve que la citation suivante a quelques similitudes avec la démarche de Refn.
« C’est que le crime a peur de se voir en face ! Et même chez ceux qui sont perdus et livrés à toutes les indignités, les yeux conservent une pudeur particulièrement sensible. Mais lui, comme s’il ne lui suffisait pas de se soumettre à des actes inouïs et jusqu’alors inconnus, il y conviait ses yeux et non content de contempler l’énormité de sa faute, il s’équipait et s’entourait de miroirs par le moyen desquels il pouvait démultiplier ses ignominies. » Sénèques
Le miroir dans Neon Demon n’est qu’un moyen de démultiplier la vacuité.
« J’ai très clairement conscience que dans le monde demain, la révolution numérique contrôlera encore plus la société, et donc le sens du narcissisme sera probablement un tabou qu’on doit appréhender de façon plus sophistiquée. C’était devenu une histoire d’évolution, de ce que [Jesse] représentait. » Nicolas Winding Refn
Ce jeu de dupe se situe entre le reflet et le modèle, entre la fiction et la réalité, entre le film et son tournage, entre l’actrice et le personnage. Sorte de miroir déformant du temps de l’histoire, le tournage a été voulu chronologique. Elle Fanning n’a que 16 ans quand elle a interprété la nouvelle déesse des podiums, Jesse.
« Ma mère était présente chaque jour et tout a été fait pour que, légalement, il n'y ait rien à redire sur mes scènes en petite tenue. Je me suis toujours sentie protégée, à l'aise, dans la bulle créative de Nick. » Elle Fanning
Ce jeu de reflet s’immisce aussi dans l’univers du cinéma, où l’artificialité du monde de la mode n’est qu’à quelques paillettes de celui du star system. Le film a reçu des avis très partagés au festival de Cannes, faisant son petit raout. Refn a profité de ce mini-scandale comme argumentaire de son film. Il raconte qu’après la projection du soir de The Neon Demon, Elle Fanning et l'équipe du film firent un tour au gala de l'AmfAR, un rendez-vous annuel hyper select destiné à recueillir des fonds pour la lutte contre le sida.
« Avec ces tubes disco et ces paillettes partout, on s'est regardés avec Nicolas et on s'est demandé si on n'était pas encore dans le film… » Elle Fanning
« I love the combination of glitter and vulgarity [at Cannes] » Nicolas Winding Refn
J’aurais aimé finir ma critique ici et mettre un 8/10 à Neon Demon. J’aurais aimé que le film s’arrête après la scène de la piscine. Mais Refn en a décidé autrement.
Au bout de la troisième fin potentielle, le film est resté du mauvais côté du miroir, celui de la provocation vulgaire. Là où j’aurais dû être choqué, j’étais navré. Neon Demon se faisait le reflet glitter d’Only God forgives.
Sûrement le film n’était plus le reflet de ce que j‘en imaginais, alors j’ai détourné le regard. Peut-être ma réflexion n’est restée qu’à la surface.
Mais le résultat est qu’à la sortie du cinéma, je n’avais qu’une image en tête.
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Créée
le 10 janv. 2017
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