Poison Girl
Bon allez, pas d’introduction bien tournée pour cette fois, pour éviter toute confusion et parce qu’on colle des procès d’intention au film pas tout à fait pertinents, je vais commencer par quelques...
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le 8 juin 2016
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Il était une fois une jeune femme fuyant son chez elle pour atteindre son rêve : être dans la lumière. Belle, jeune, vierge, pure et innocente, elle est pourtant prête à tout pour intégrer un monde où son seul atout (sa beauté) de son aveu même serait reconnu. Délaissant ainsi la clarté naturelle de la lune qui l'illuminait jusqu'alors pour les feux démoniaques des projecteurs de LA.
A prendre comme un conte, on ne peut s’empêcher de penser à la lecture de ce postulat de départ au fameux Mulholland Drive, une comparaison d'autant plus intéressante que l'influence lynchéenne est toujours plus présente chez NWR dans son style comme dans son propos. Lynch nous y présentait alors l'essence même d'Hollywood, lieux d'illusions comme de désillusions, allant de la romance rêveuse au cauchemar cadavérique.
Toutefois le projet de NWR semble ici être toute autre. Là où Only God Forgives avait divisé en raison d'une approche esthétique sans doute trop vouée à être seulement contemplée, The Neon Demon a incontestablement réussi à user et jouer de cette esthétique plus poussée que jamais afin de soutenir un propos de fond universel : la question du Beau.
Pour ce faire, notre réalisateur mais aussi scénariste a ainsi eu la bonne idée de ne pas se lancer dans une définition trop poussée de ce qu'est le Beau. Comme ce sera dit "Beauty is the only thing", elle ne s'explique pas, elle ne se conceptualise pas, elle s'impose à nous comme elle s'est imposée d'elle même au créateur de mode (universellement pour les plus kantiens d'entre nous). Aussi Refn décide-t-il de se concentrer a contrario sur ce que n'est pas le Beau à savoir l'artifice, et de montrer en quoi cet esthétique vaine s'est substituée au Beau lui-même. Dès lors comment traiter de cette passion de l'artifice, du culte de la plastique ? En réalisant un film d'une artificialité quasi sans faille. Logique mais surtout brillant.
Dès lors rien ne fait vraiment authentique dans ce film. De la lumière aux cadres, tout est fait pour faire beau, un culte de l'esthétique vide, prétentieux, aux symboles à outrances mais c'est chose si justifiée ici. Le film est à lui-même sa propre fin, un regard par l'esthétique sur l'esthétique qui dicte toujours plus nos vie consciemment ou non. Ainsi tout fait faux car tout est faux, vain, creux.
Mais attention, aussi vain soit-il, le Démon a besoin de se nourrir car la beauté c'est aussi une passion dévorante, des âmes comme des corps.
Tantôt un conte de fée, tantôt du fantastique, tantôt un thriller horrifique et frôlant presque le nanar sur la dernière scène, The Neon Demon nous éblouit par la portée de son propos qui transcende les genres utilisés donnant une oeuvre des plus disparate mais paradoxalement des plus cohérente.
Son discours repose ainsi sur cette dichotomie constante entre d'une part la beauté "naturelle" et d'autre part l'imitation de cette dernière, fruit d'un démon de lumière artificielle.
Cette beauté naturelle est ici incarnée par Elle Fanning alias Jesse. Belle, blonde, parfois candide, innocente, elle est naturellement belle. Sa virginité témoigne d'un corps qui n'a jamais été touché ni retouché, loin des épreuves charnelles qui l'attendent. Elle est authentique. En ce sens le film n'est en aucun cas une satire du mannequina (vision trop réductrice), c'est plutôt une invitation à la réflexion sur l'être et le paraître. Car le paraître sera ici systématiquement synonyme de la fausseté. Dès le début avec Jesse devant mentir sur son âge par exemple. On peut songer également à sa rapide "amitié" avec Ruby (son premier rapport avec la mode). Inversement ses rapports avec Dean avant sa véritable entrée dans le monde de la mode (le personnage fonction) sont sains. De sorte que cet écart entre ce qu'elle est et ce que le démon fait d'elle nous donne à voir une Jesse peu à peu schizophrène. (cf Waving Goodbye au générique de fin).
Mais la richesse du film, c'est aussi sa panoplie de personnages. En compagnie de notre protagoniste nous avons Ruby, maquilleuse de chair et inlassablement attirée par Jesse ; Gigi (une Bella Heathcote robotique) mannequin cristallisant l'imitation de la beauté par la plastique à elle seule ; et enfin Sarah (Abbey Lee Kershaw) dévorée elle aussi par sa jalousie.
Nos quatre jeunes femmes formant ainsi le néon démon mais aussi ses victimes puisqu'il se nourrit d'elles, de leurs passions (le démon étant constitué en effet de quatre triangles, un symbole à la sexualité forte parmi tant d'autres dans le film).
Néon Démon est un film qui nous parle des corps et de leur traitement. Qui nous fait état d'un monde qui n'a que faire des bons sentiments. Seules les enveloppes charnelles comptent. La nature n'y a pas sa place car celle-ci est par définition l'essence de l'être, sa substance. Or l'esthétique que nous présente NWR est vaine, sans substance, sans vie. Pire encore, c'est la victoire de l'artifice sur la nature qui nous est décrite lors d'une chasse des plus bestiale.
Un film sur l'image, sur le paraître, qui use de l'esthétique à outrance pour mieux en discuter avec nous témoigne de la part de NWR d'une véritable réflexion sur l'utilisation de sa mise en scène et de son cinéma, mieux exploitée que jamais dans ses excès. On y parle peu, on contemple beaucoup mais jamais en vain tant le film est dense et fait écho au Beau et ses dérives que ce soit dans l'art comme dans le quotidien où le paraître est si fondamental. Bref un film qui pense notre rapport à l'art, qui pense notre rapport à la beauté, un film plus subversif qu'il n'y paraît.
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Créée
le 11 juin 2016
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