Adapté de la pièce autobiographique de Larry Kramer écrivain militant, à l'origine du mouvement Act Up, un téléfilm HBO sur l'émergence brutale du SIDA dans les années 80 aux Etats-Unis. Larry Kramer qui décida au vu de l'inertie du gouvernement face à la maladie de faire passer son message sur les planches, en 1985, se retrouve ici scénariste.
Le réalisateur Ryan Murphy, qui avait déjà traité en 2012 de l'homosexualité dans une sitcom The new normal, se lance dans le projet aidé par quelques acteurs de renoms et d'un Brad Pitt à la production. HBO qui a souvent de bonnes idées par des choix originaux confirme, d'autant que le sujet depuis plus de trente ans reste d'actualité.
On pense bien sûr au film Philadelphia dans la lutte contre l'homophobie et les débuts difficiles de la prise en compte mais surtout, à The Dallas Buyers Club, où la maladie nouvelle, laisse nombre de morts par une médecine inexistante et un combat épuisant face à l'inertie ambiante à se procurer des médicaments. N'hésitant pas à la critique, entre militantisme et histoire d'amour, ni lourd ni excessif, le ton ici gagne par un portrait tout en nuance de ses personnages. Evitant l'excès inhérent au genre, même si quelques scènes suggestives apparaissent, Murphy, évite tout voyeurisme déplacé en ne se concentrant que sur la relation de ces hommes dans une société où le déni marque une population en demande de soins urgents.
Actant le politique et la volonté de la communauté gay à défendre ses droits et son image, c'est la création d'un groupement contre un gouvernement qui ne prend pas la pleine mesure du fléau ni ne veut s'intéresser à la minorité gay, et a son propre cancer, évitant ainsi toute initiative. C'est d'autant plus marquant qu'il s'agit à la fin des années 70 de faire valoir la liberté sexuelle, et de fait, du risque pour tous, même si le cadre relève d'un environnement aisé, le ton reste percutant, notamment sur le portrait d'une société hypocrite face au sexe et à ses propres comportements.
De ces grandes histoires d'amour, et d'envolées lyriques quelles qu'elles soient d'ailleurs, il est rare de toucher au naturel et à la force des sentiments sans pathos ou émotion facile. On est charmé par le ton nostalgique de jeunesse perdue, par les grandes bouffées délirantes de fêtes dansées et d'insouciance, que Ryan Murphy met en lumière, pour une suite à venir bien plus sombre et délétère, entre espoir et désespérance. Les moments de grâce, d'amitié et les preuves d'amour, propres à laisser nombre de sentimentaux sur le carreau, transportent littéralement.
Mais de ce constat, ce sont tout au long du film les corps marqués par la maladie, les morts les unes après les autres, les demandes testamentaires, et la difficile communication au sein du groupe, entre ceux qui n'ont peur de rien et ceux aux difficiles coming out...Le réalisateur se joue des codes et mène sa réflexion intelligente pour des personnages en quête de reconnaissance, entre luttes, pertes constantes et don de soi.
Mark Rufallo (Ned Weeks), trouve un rôle à sa mesure. Ecrivain, activiste et colérique où la puissance de son engagement va de pair avec une certaine innocence. Solitaire, voire abstinent, Ned découvre enfin l'amour pour risquer de le perdre et se battra violemment mais souvent contre son propre groupe. Matt Bomer (Félix Turner) marque chaque scène, entre beauté dévastatrice et maladie à venir et donne ici matière au fantasme masculin entre séduction et faiblesse, où chacune de ses scènes nous laissent pantois et le sourire aux lèvres... Julia Roberts dénuée de tout sourire, appuie par sa sobriété la difficile mission d'un médecin dépassé, mais qui aura motivé la création du mouvement, en lutte elle aussi à faire reconnaître ses recherches par des subventions inexistantes. Taylor Kitsch même plus absent se révèle parfait lui aussi pour son portrait d'homme dévasté. Le réalisateur aura su marquer toute la subtilité des rapports, des conflits intérieurs, des sentiments voués à l'adversité, par un jeu de mouvements et de regards servis par des jeux d'acteurs tous excellents. Un vrai bonheur.
Parfois théâtral, aux dialogues savoureux et d'humour à froid, une musique entraînante et choisie, une photographie parfaite, de grandes émotions et beaucoup d'amour.
Une réussite.