Primal team
Alors qu’il s’était fait connaître dans le registre modeste du film de genre (The Witch) et du huis clos perché (The Lighthouse), Robert Eggers passe avec The Northman dans la cour des grands : un...
le 12 mai 2022
99 j'aime
5
Le cinéma indépendant américain ne compte peut-être plus autant de nom de renom que pendant le Nouvel Hollywood. Cependant à l’heure actuelle, on trouve encore des noms qui ont beau être assombris par l'industrie de plus en plus dévorée par son désir de produire pour satisfaire les masses (aussi bien sur le grand écran que pour les plateformes de streaming), mais qui savent rester en tête pour tout cinéphile aimant jouer les archéologues et faire dans la spéléologie cinématographique.
On retrouve les habitués et grands noms de longue date indémodable comme Paul Thomas Anderson ou Quentin Tarantino, les jeunes prometteurs comme David Lowery capable également de passer par la case blockbuster le temps d’un film, et parmi eux se trouvent Robert Eggers qui a eu des débuts suffisamment remarqués avec le déroutant The Witch et le huis-clos côtier affolant (dans le bon sens du terme) qu’a été The Lighthouse. En 2 films il s’est fait une spécialité de disséquer les peurs les plus primaires que ça soit par l’obscurantisme religieux de The Witch, l’isolement au milieu d’un océan en pleine tempête dans The Lighthouse aussi bien par son identité dans la mise en image que l’obsession qu’il porte à moult petit élément dans son sujet.
The Northman ne va pas faire exception à la règle du détail et du mystique, en convoquant plus d’une fois les rites vikings ainsi que leurs coutumes. En premier lieu par la transmission parentale
(la cérémonie de passage à l’âge adulte d’Amleth, ses premières visions de son arbre généalogique et du Vahöll/Valhalla) y compris à travers le parcours d’Amleth (celle de sa mère antérieurement à sa vie de reine) ou avec ce rapport au corps qui est au centre même de cette épopée sanglante et sans concession.
A cela, en raison du culte du corps lors des danses tribaux et au vu de la culture nordique abordée, quoi de plus logique comme choix d’acteur qu’Alexander Skarsgård pour incarner la férocité d’Amleth. Tel qu’il est filmé, l’interprète suédois transpire jusqu’à ras bord d’animosité et de rage et tout passe aussi bien par son regard noir que par son physique sublimé sculpturalement par la caméra. Ses émotions sont en toute logiques réduites à leur strict nécessaire, mais entre son jeu très corporelle et la manière de filmer d’Eggers, il est tout simplement monstrueux du début à la fin.
Il est d’ailleurs à l’image de la réalisation de Robert Eggers, ce dernier misant beaucoup sur l’impact physique, sur l’omniprésence des environnements dominant constamment les hommes comme s’ils étaient dominés en permanence. D’où ces immenses panoramas sur ces paysages faites de plaines vertes, de glaciers et de terre boueuse et limite poisseux, ces travellings coordonnées avec le décor et faisant d’Amleth le pivot des événements à venir et le cœur du métrage au sens le plus littéral.
Comment ne pas penser à Conan le Barbare lorsqu’on évoque le film de vengeance portée sur le physique et la force animale, saupoudré d’un soupçon de fantasy ? On y pense avec l’assassinat du père sous le regard d’un enfant dans un décor hivernal hostile, on y pense avec la voie du guerrier barbare impénétrable que se tracera Amleth y compris par la renversante séquence de bataille sur les plaines de Rus en 3 plan séquences distinct découpant la séquence (les débuts du combat, le cœur de la bataille, et l’après) ainsi que lors des apparitions spirituelles et déconnectés du normal (la prêtresse aveugle jouée par Björk), de même on y pense lors de son infiltration en tant qu’esclave mais aussi par l’image qui est dépeint de Fjölnir à partir du deuxième acte. Sans être un Thulsa Doom similaire, il n’est dépeint ni comme un souverain sadique et encore moins comme un homme tyrannique : c’est aussi un père et tenant d’une propriété à échelle plus modeste avec ses systèmes de valeurs, notamment sur son devoir de se faire respecter des esclaves (que ça soit en prenant part aux tâches de sa ferme et en enseignant ce principe à ses fils, fils qui savent montrer de la reconnaissance selon les situations en dépit de la situation bien merdique que sera toujours la situation d’esclave, encore plus chez les vikings).
Alors que de l’autre, Amleth est lentement mais surement déconstruit comme un animal aveuglé ignorant tout des coulisses du meurtre fratricide et qui répands plus de mal qu’il n’en détruit. Robert Eggers a toujours pour but, jusque là, d’exacerber ce qui servait de bouclier, de motif ou encore de repère pour ses personnages : dans la famille de The Witch c’était la foi et leur croyance qui les séparaient de plus en plus et les plongeaient dans une paranoïa meurtrière, dans The Lighthouse c’était la notion du temps qui s’effaçait avant que les 2 gardiens de phare ne voient leur rapport virer au chaos le plus total. Ici c’est l’héritage patriarcal et le rapport au mystique d’Amleth et son aveuglement sur les événements qui le guideront, si cela ne le mène pas à une folie similaire à The Lighthouse et qu’une porte de sortie lui reste accessible via le personnage d’Olga
(bien que leur rapport amoureux passe plus par le corps et la fascination de celle-ci que par un sentiment purement réciproque)
, Eggers ne cherchera pas à persuader qu’il s’écartera de sa voie et c’est un des quelques points vraiment dommageable de The Northman.
A vouloir être jusqu’en boutiste dans sa démarche et chercher l’impact mental et picturale avec ses aspects sensorielles et organiques très creusées dans la réalisation et l’imagerie, The Northman donne l’impression par moment d’être une ligne droite niveau scénario et de ne pas donner suffisamment de pertinence aux autres voies qui s’ouvrent pour Amleth. Le dilemme de "l’amour des proches ou la haine de tes ennemis" est pourtant une idée noble mais Amleth a été tellement possédé par sa rage et son rapport avec Olga ne dépasse jamais vraiment l’entente mutuelle, difficile de l’imaginer choisir l’amour un moment ou à un autre.
Cela dit, à son crédit, quand il reste dans sa voie initiale et qu’il continue de prendre cette direction en mêlant aussi bien le mystique que la violence ainsi que l’expression corporelle, le troisième né d’Eggers ne vole pas son statut de film coup de poing déjà attribué chez certains : au-delà du travail remarquable du chef opérateur Jarin Blaschke avec des choix parfois surprenant (l’immense contraste lumineux lors des scènes de nuits qui nous ferait presque passer au film en noir et blanc lors des virées nocturnes d’Amleth) et du passage de certains sous-genre (le body-horror), The Northman ne brille jamais mieux que lorsqu’il lie à la fois la rudesse de son cadre que la fureur de son héros ou des autres personnages.
En témoigne ce final ou Bjölnir et Amleth se font face aux abords même du mont Hel, près du volcan et ou tout ne devient que cliquetis bruyant et grondant d’épée et de bouclier tandis que leurs émotions font un parfait ménage avec le décor.
Pour un film qui a coûté 90 millions de dollars, bon nombre de blockbuster à budget faramineux de ces dernières années devraient prendre exemple ici sur le plan graphique. On n’oubliera pas aussi de penser à son ambiance musicale qui, si elle n’est pas destiné à l’écoute simple, contribue à donner du corps à cette revanche viking tant par ses chœurs mystique que par ses notes musicales lancinantes.
Sans oublier, enfin, que tout ce qui touche au mystique et au légendaire (Yggdrasil et la chevauchée de la Valkyrie) semble avoir une existence bel et bien réelle bien que chacun de ces concepts restent intangible pour les personnages, mais est filmé de façon a si profondément l'ancrer dans l'imaginaire des personnages (Amleth le premier) qu'il n'en est que plus pertinent et n'est jamais trop excessivement mis en avant. Et ce afin de nous faire nous demander si la voie choisie par Amleth n'est pas simplement le fruit de sa folie vengeresse ou si le fantastique a bel et bien toute sa place dans le chemin qu'il choisit de suivre (comment, d'ailleurs, peut-on ne pas songer à Hamlet rien qu'à l'évocation de son nom ? Amleth étant en plus un anagramme du nom du personnage de Shakespeare soit dit en passant, histoire de parler de coïncidence rigolote).
Film de vengeance portée par la rage animale inarrêtable d’Alexander Skarsgard et sa beauté picturale de chaque instant, The Northman comble sa simplicité scénaristique et souvent cousu de fil blanc par une attention de tous les instants portés au foklore viking et à la psyché de son héros vengeur, ainsi qu’au mysticisme et à la place des hommes dans un univers barbare ou le corps devient porte étendard des motivations de ses personnages. On pourra bien lire les éternels radoteurs prêt à se limiter qu’à l’écriture et son squelette plutôt qu’à son habillement et la manière de la présenter, quel importance : quand un film fout un pain dans la gueule, ça se sent et on en redemande.
Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Ma vidéothèque (ou la torture du porte-monnaie d'un cinéphile), Journal cinéphile d'un pro-Japanimation : édition 2022 !, Les meilleurs films de 2022 et Répertoire des films ou revus en 2024 !
Créée
le 11 mai 2022
Critique lue 220 fois
15 j'aime
8 commentaires
D'autres avis sur The Northman
Alors qu’il s’était fait connaître dans le registre modeste du film de genre (The Witch) et du huis clos perché (The Lighthouse), Robert Eggers passe avec The Northman dans la cour des grands : un...
le 12 mai 2022
99 j'aime
5
Bon je crois que le cinéma de Robert Eggers c'est vraiment pas pour moi, c'est long, c'est mou, c'est pompeux, ça se prend au sérieux alors que c'est totalement con et surtout c'est poseur. Disons...
Par
le 14 mai 2022
80 j'aime
16
Les tambours de guerre résonnent. Et épousent le rythme du sang qui bat dans mes tempes. Frénétique.Les corps, eux, se désarticulent dans une danse éperdue, autour du feu qui embrase la nuit.Et...
le 11 mai 2022
61 j'aime
8
Du même critique
EDIT ! Y’avait autant de raison d’être enthousiaste et heureux de voir la saga sur le sorcier à lunette au cinéma que d’être inquiet et sceptique quand on voit la politique actuelle des studios...
le 18 nov. 2016
91 j'aime
15
Queen et le cinéma, c’est très loin de se limiter qu’à ce projet de biopic autour de son chanteur Freddy Mercury et de l’émergence du groupe au cours des années 70. La présence du groupe passe tant...
le 31 oct. 2018
82 j'aime
27
Dans la grande catégorie des suites tardives ou exploitation de licence qui n’ont pas été demandé, on peut trouver beaucoup de films qui ont vu le jour à l’aube de ce vingt-et unième siècle et...
le 4 oct. 2017
75 j'aime
4