Je ne pige rien à ce que j’ai pu entendre sur ce film. J’ai l’impression que ce qui ressort, c’est qu’on est face à une proposition de cinéma originale, radicale, soit une expérience qui tranche avec tous les bidons de lessive fades qu’on peut voir depuis des années en termes de grosses productions américaines. Et je ne comprends pas où on a vu jouer ça, parce que The Northman me pose le même problème que ces blockbusters : Je n’y crois pas. Tout est faux. On est en permanence en plein cliché, en plein lieu commun. C’est artificiel.


J’avais manqué The Lighthouse (clairement c’est plus du tout une priorité), mais du même Robert Eggers, j’avais eu un ressenti similaire avec The Witch. J’avais compris la démarche, quel genre d’ambiance il cherchait à créer… Mais quand rien ne sonne vrai, quand tous les dialogues sont surécrits, et absolument pas naturels, bref, quand ils donnent l’impression que ce ne sont pas de vrais gens qui parlent, mais bien des comédiens qui récitent leur texte, ça ne marche pas. Ce n’est pas le jeu d’acteur que j’attaque ici, le problème vient de l’écriture : Je n’arrive juste pas à croire à l’existence de personnages qui s'expriment de manière aussi écrite, dont les interactions sont à ce point cousues de fil blanc. Bien sûr, on peut totalement réaliser un film hors de toute crédibilité (pour prendre un exemple au hasard et qui n’a aucun rapport, La Belle et la Bête de Cocteau est extraordinairement théâtral tout du long et reste magnifique), mais dans le cas présent, ça ne m’avait jamais donné l’impression d’être l’effet recherché, puisque ça ne s’accorde pas du tout avec la viscéralité que le film semble chercher à atteindre.


L’exacte même tare se retrouve dans son nouveau film. La blinde de qualificatifs qui, honnêtement, donnent plutôt envie, que j’ai pu lire (j’ai vu “bestial”, “brutal”, “grisant”, “sensoriel”,...) est vraiment de la poudre aux yeux. Je vois d’où ça sort, OK, on voit un peu de boucherie, Skarsgård et quelques autres personnages se donnent un air rustre, le film tente de raconter un genre de parcours métaphysique abstrait, tout ça c’est très bien, mais quel intérêt, si c’est noyé dans des scènes convenues et interminables qui prennent le pas sur tout le reste ?
Les dialogues sont saturés de complications lourdingues pour faire rentrer un maximum d’informations, mais qui peut y croire ? Pourquoi me forcer à subir une scène inconséquente où Willem Dafoe plaisante sur la fidélité de la reine et occasionne une longue discussion qui ne sert qu’à expliquer verbalement que le roi l’estime malgré son insolence ? Pourquoi est-ce que je trouverai intéressant de voir un vieillard dire à Skarsgård qu’il sait depuis leur rencontre qu’il avait tout d’un barbare alors qu’ils ont sans aucun doute eu des tas d’occasions de se le dire hors-champ ? Comment croire à ce que le film raconte si lui-même ne laisse pas vivre ses personnages et les force à se raconter des trucs qu’ils savent déjà pour que personne ne soit perdu ? Eggers n’avait vraiment aucun moyen d’expliquer tout ça de manière un peu plus naturelle ?


Le problème ne se limite pas qu’à l’exposition, sinon je serais passé outre. C’est tout le temps comme ça. Le film cherche très maladroitement à rendre solennel chaque dialogue, mais on sent qu’à chaque fois c’est superficiel, alors ça en devient juste grossier (surtout qu’on comprend à chaque fois très vite où ils cherchent à venir). Il est tourné en anglais (d’ailleurs je trouve ça complètement débile d’insérer ponctuellement quelques répliques en slave : Si les personnages parlent anglais tout le reste du film, on voit très vite que ça n’est là que pour taper la pause), alors pourquoi tenir à ce point à employer un niveau de langage aussi soutenu, auquel il est impossible de croire ? Autant assumer que la langue entendue n’est pas celle parlée dans la diégèse du film, et donc permettre aux personnages de s’exprimer naturellement. En l’état, j’ai eu l’impression de regarder une troupe de théâtre en impro à qui on aurait dit “vous êtes des vikings, dîtes des trucs de vikings”.
Pourtant, j’ai cru comprendre que le film avait bénéficié d’un grand travail de documentation, c’est assez dingue de se dire qu’Eggers ait tenu à s’assurer qu’un maximum de détails soit conforme à la réalité historique pour finalement se montrer incapable de filmer des interactions crédibles.


Donc déjà, si on a l’impression de suivre des pantins désincarnés, il est assez difficile d’adhérer à la proposition. Proposition qui, finalement, n’est pas spécialement radicale. Je pense à deux aspects en particulier :
Déjà, le surnaturel. Je vois ce que le film essaie de faire, et je pense que l’idée de parcours à la fois ésotérique et austère peut vraiment donner quelque chose d’intéressant, qui pourrait faire penser à El Topo sans l’ironie, et avec les spécificités des mythes scandinaves, que ce soit dans la narration ou dans les thématiques, mais là, on en fait vite le tour. D’ailleurs j’en suis assez étonné, parce que ce point m’avait plu dans The Witch. Je me suis acharné sur ce pauvre film, mais hormis le problème dont j’ai parlé plus tôt, je l’avais globalement apprécié. Quand les personnages voulaient bien se taire, il réussissait à instaurer une atmosphère assez particulière, surtout lors des rares manifestations avérées d’éléments surnaturels, qui jouent plus sur l’incompréhension que sur la peur. C’est donc vraiment étrange de voir à quel point ce n’est ni fait ni à faire dans The Northman, on a droit à des prédictions, à une épée magique, à un genre de prescience chez le personnage principal, à une scène où il rend fous les chiens de ses ennemis,... Mais en fin de compte, on dirait juste de bêtes super pouvoirs, parce que le film s’enlise dans une narration beaucoup trop concrète : Voir Skarsgård et Taylor-Joy comploter étape par étape, c’est purement de l’ordre de la logistique, ce n’est pas compatible avec les délires de spiritualité abstraite avec lesquels le film nous bassine.
Ensuite, je ne suis pas convaincu non plus par la tentative d’austérité, l’idée selon laquelle le film mettrait en scène une quête de vengeance aride, épuisante, qui nous ferait sortir de notre zone de confort. C’est une fumisterie. Tout le monde grogne, se déplace comme des australopithèques, tire une tête de six pieds de long, et effectivement, ce petit coin d'Islande n'est pas très accueillant, mais à part ça ? C’est convenu. Jamais le film ne prend aux tripes, au lieu de ça il enchaîne les lieux communs en faisant semblant d’être viscéral grâce à quelques artifices, comme des voix gutturales ou des types qui marchent courbés avec les bras écartés, mais ça n’est en rien différent de la soupe habituelle des blockbusters hollywoodiens.


J’ai un peu menti quand j’ai dit ne pas comprendre ce qu’on pouvait trouver d’inhabituel chez The Northman, par rapport au paysage actuel des grosses sorties Américaines, très souvent fades. Je vois bien ce que ce film a de plus, il a une dimension contemplative plutôt rare dans un blockbuster, il exploite un imaginaire lui aussi assez peu exploité dans le cinéma grand public récent, il se permet quelques excès avec la violence, et surtout, il joue à fond la carte du premier degré. Rien que ça, c’est franchement plaisant. Mais c’est tout. Ça n’en est pas moins artificiel et balisé. Et si l’absence de second degré est à saluer, parce que ça évite au film de tomber dans un cynisme à la Marvel (même si, encore une fois, ça ne le rend pas moins factice, la photographie du combat final m’a d’ailleurs désagréablement rappelée celle du dernier Avengers), il n’est pas gage de qualité pour autant, encore faut-il que le film soit bien écrit, parce qu’on tombe souvent dans le ridicule.


Le film n’est pas abominable, ne serait-ce que plastiquement, la musique déchire, Eggers filme de magnifique décors (pas toujours très bien, cela dit, certains plan donnent parfois l’impression de sortir d’une pub pour un voyage en Islande), et le travail de reconstitution est impressionnant. On ne s'ennuie pas devant, mais c’est tout. c’est du divertissement. Même si je ne doute pas de l’ambition de faire plus, rien à voir avec la fresque épique, violente et transcendantale dont on parle. Aussitôt vu, aussitôt oublié. Ce sur quoi je m’interroge, c’est les raisons qui ont amené un tel film à être mis en avant. J’ai cité quelques points par lesquels The Northman se distingue effectivement de ses contemporains, mais ça n’est pas suffisant pour constituer quoi que ce soit qui sorte vraiment du moule. Je ne pense sincèrement pas que ce soit assez pour passer outre sa totale facticité, je ne comprends pas qu’on ne soit pas dérangé par des dialogues, des personnages et une écriture qui ne sonnent vrai à aucun moment, ni qu’on s'emballe pour des ambitions dont, finalement, le film ne fait quasiment rien. L'explication qui me vient en tête est que l’engouement autour de ce film plutôt qu’un autre vient en grande partie d’un public qui n’est habitué à rien d’autre qu’au cinéma grand public, et pour qui ce “blockbuster d’auteur”, aussi convenu soit-il, est déjà une expérience inédite. Ou alors, les gens en ont tellement marre du modèle actuel des blockbusters hollywoodiens que The Northman apparaît comme une alternative, peu importe la qualité de l'exécution.


Ou bien je me prends trop la tête, peut-être qu’on parle du film parce qu’il y a des vikings, et que les geeks rôlistes avec un collier de barbe sont contents de voir des vikings. Le mystère reste entier.

JacquesHumul
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le 17 mai 2022

Critique lue 55 fois

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