Il y a des films desquels on ressort essoufflé tant ils nous ont retourné le cerveau, des films desquels on ressort exténué tant ils nous ont malmené. Mais ce n’était rien comparé à l’expérience que je viens de vivre avec le nouveau film tout fraichement débarqué chez Spectrum Films dans leur nouvelle collection parallèle. Ce film, c’est The Painted Bird, et il m’a littéralement mis à terre. Quoi qu’on pourra en penser, il nous laisse un souvenir impérissable. On est pris à la gorge 2h50 durant devant ce film à mi-chemin entre le parcours initiatique d’un jeune garçon juif et le film d’horreur réaliste sur fond de guerre. Le récit non pas d’une enfance détruite, mais d’une enfance qui aurait pris tour à tour dans la gueule du napalm, du gaz sarin et une bombe atomique. La perte de l’innocence, la souffrance, la cruauté de l’homme, et un enfant détruit à tout jamais. Oui, The Painted Bird est un film assez monumental qui questionne sur le pire de l’être humain. Un film choc, dérangeant, qui va en laisser plus d’un sur le carreau.


The Painted Bird est l’adaptation du roman éponyme de Jerzy Kosiński sorti en 1965, un auteur très controversé. Devenu un best-seller aux Etats-Unis (entre autres), le livre est présenté comme autobiographique et inspiré de la propre expérience de Jerzy Kosiński en Pologne pendant la Seconde Guerre Mondiale. Sauf qu’en 1982, un article du journal The Village Choice fait grand bruit, affirmant que les péripéties du livre auraient été inventées, qu’en plus Jerzy Kosiński aurait tout le long de sa carrière fait du plagiat, et que certains de ses ouvrages n’auraient même pas été écrits par lui. Cette adaptation, qui aura demandé 10 ans de travail, est le troisième et dernier long-métrage en date de Vaclav Marhoul après Tobruk (2008) et Mazany Filip (2003). 100 jours de tournage, presque un an de post-production, et un film d’un côté ovationné dans les festivals (Venise, Toronto, Londres) où il passe, mais d’un autre faisant partir des salles en pleine projection certains spectateurs qui n’étaient pas prêts à assister à ce spectacle saisissant. Souvent comparé aux films de Tarkovsky par les critiques, The Painted Bird renvoie surtout au Requiem pour un Massacre (1985) de Elem Klimov étant donné qu’il traite des mêmes thématiques via le même point de vue. Le jeune héros du film rencontre même Aleksey Kravchenko, l’interprète du film de Klimov désormais adulte, comme pour un passage de relais. Oui, ces deux films sont définitivement liés. Et tout comme Requiem pour un Massacre est devenu un film culte, The Painted Bird devrait suivre le même chemin.


The Painted Bird, ce sont les horreurs de la guerre vues à travers les yeux d’un enfant, une sorte de road movie extrême dans une Europe de l’Est ravagée, où ce jeune garçon va faire tout un tas de rencontres, passant de maison en maison, et se retrouver face à des choses qu’un enfant de son âge ne devrait même pas avoir à imaginer. Le film est très difficile à regarder, avec son lot de scènes de viol, de violence sur enfant, d’énucléation, de passage à tabac, de suicide, de maltraitance sur animal, de tortures, d’assassinats, … Il nous montre la brutalité de l’homme, ses excès de cruauté, et plus particulièrement en temps de guerre. Ça en est même trop tant le métrage ne recule devant rien et est même parfois un peu insistant, comme s’il voulait nous donner des preuves que cela a existé. Mais cette violence n’est pas gratuite, elle est là pour parler de quelque chose, pour dénoncer quelque chose, pour faire réfléchir, et le résultat est assez saisissant. The Painted Bird est divisé en parties, chacune portant le nom d’un ou de plusieurs personnages que le jeune Joska va rencontrer durant son épuisant et éprouvant périple, des personnages tous plus abjects les uns que les autres. Cette violence est dure, froide, et à aucun moment Václav Marhoul ne cherche à épargner le spectateur qui se fera secouer dans tous les sens en même temps que le petit Joska, tantôt spectateur, tantôt acteur, tantôt victime. Là où Requiem pour un Massacre suggérait beaucoup de choses, The Painted Bird n’hésite pas à y aller franco. On se crispe sur son siège, on serre les dents, et on souffre en même temps que le jeune personnage.


La mise en scène de Václav Marhoul est un modèle de perfection. Avec son noir et blanc du plus bel effet, nous offrant des plans absolument sublimes, il n’y a pas un seul plan qui ne soit pas soigné, qui ne soit pas réfléchi, qui ne soit pas réglé au millimètre près, qui ne retranscrive pas parfaitement l’horreur et la cruauté. Les mouvements de caméra sont languissants, les silences pesants, la musique inexistante. On sent toute la lourdeur des différentes thématiques abordées peser sur nos épaules et les rares fois où cette violence dure et froide ne nous est pas montrée frontalement et est suggérée (un pleur à travers un mur, un plan suggestif juste après la scène suggérée), ce n’est guère mieux. Clairement, le tournage n’a pas dû être facile pour Petr Kotlár qui incarne ce jeune garçon qui va en prendre de tous les côtés (au sens propre comme au figuré). Ce jeune acteur, c’est également une des forces du film. Du haut de ses 9/10 ans lors du tournage du film, il s’en sort à merveille et est criant de vérité. Le casting de manière générale est absolument hallucinant, et bien qu’il s’agisse d’un film d’Europe de l’Est, certains acteurs connus sont venus apporter leur pierre à l’édifice. Notons par exemple Udo Kier (Du Sang pour Dracula, Blade), Harvey Keitel (Reservoir Dogs, Taxi Driver), Stellan Skarsgård (Breaking the Waves, Amistad), Julian Sands (La Déchirure, Le Festin Nu) ou encore Barry Pepper (Il Faut Sauver le Soldat Ryan, Ennemi d’Etat). Difficile d’en dire réellement plus sur le film car c’est difficile d’en parler. Non pas parce qu’on risque de spoiler, mais parce que c’est le genre de film qui prend aux tripes, qui te laisse avec la gorge nouée, et que c’est une expérience (certes difficile) qu’il faut vivre pour bien comprendre la portée de la chose.


Comme dit en introduction, The Painted Bird est un film monumental qui questionne sur le pire du pire de l’être humain. Un film choc, dérangeant, presque traumatisant. Le visionnage est rude, certes, mais quelle claque !


Critique originale avec images et anecdotes : https://www.darksidereviews.com/film-the-painted-bird-de-vaclav-marhoul-2019/

cherycok
9
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le 24 avr. 2023

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