Cette histoire aurait pu complètement me passer au-dessus de la tête si ses protagonistes avaient été choisis autrement. Mais là, on est en présence de deux personnes complexes, pleines de qualités évidentes, et rongées par des maux qui les dépassent et rendent leur interaction passionnante. Il se trouve que la peintre n'est pas une barbouilleuse hermétique et que le junkie a oublié de n'être qu'une loque sans épaisseur, et ça fait toute la différence, en tout cas pour moi. Je commence par elle, Barbora, une jeune tchèque qui maîtrise le clair-obscur comme le Caravage et tire cependant le diable par la queue, inexplicablement. Comble de la poisse, deux de ses tableaux disparaissent de la galerie qui les expose en vitrine, sous le bras décontracté de deux voleurs aux motivations troubles. Pourquoi voler les tableaux d'une quasi inconnue ? La fille est cool, elle semble prendre la chose avec décontraction, même si ce sont des heures de travail qui ont disparu. Ça et ce que tout peintre verse d'intime dans ses créations. Sauf que, loin de blâmer les deux malfrats à la petite semaine qui sont partis avec ses trésors méconnus, elle prend contact avec eux, plus pour comprendre leur acte que pour récupérer son bien. Et noue une amitié étonnante avec l'un d'entre eux. Pour sa part, le gars est un citoyen lambda parti en vrille, qui n'a aucun souvenir de ce qui s'est passé le mois où il a piqué les tableaux. Et ça, c'est une information étonnante pour qui, comme moi, ignore à peu près tout du quotidien des camés. Un mois d'amnésie, en dehors de tout traumatisme crânien, c'est déjà inimaginable, mais en prime, des vidéos sur lesquelles on voit le zombie agir et parler comme une personne consciente alors que ça n'est pas lui qui est aux manettes, ça, c'est perturbant. Qui dirige le navire quand l'individu bat la campagne ? C'est une chose bien extraordinaire, comme le fait de se réveiller systématiquement une minute avant que le réveil ne sonne le matin... qui veille quand on dort ? Bref, des questions sans réponse qui intriguent aussi la peintre spoliée, et, petit à petit, d'autres problématiques vont se faire jour grâce à l'interaction des deux marginaux : quelle partie de la personne saisit la peintre quand elle fait un portrait ? Faut-il être soi-même sensible à une certaine forme d'autodestruction pour attirer des gens partis en piqué ? Vocation dévorante et addiction sont-elles les deux faces de la même médaille ? A quoi sert la lucidité ? Le couple peut-il résister au masochisme de l'un de ses membres ? Je m'arrête là, on pourrait construire un programme de philo sur les thématiques soulevées par ce documentaire étonnant, dont les ficelles ne sont jamais exposées... par exemple, qui tient la caméra ? Comment cet opérateur s'est-il trouvé là à des moments-clé ? A-t-il été nécessaire de rejouer certaines scènes ? Quelle part tient la fiction dans cette histoire complexe ? Autant dire qu'il y a là matière à un examen palpitant de la part du spectateur...