Cianfrance dans la cour des grands

Remarqué par le troublant Blue Valentine il y a deux ans, le réalisateur indépendant américain Derek Cianfrance confirme tout le bien que l’on pensait de lui avec The Place Beyond the Pines. Pourtant, le sujet du film était pour le moins dangereux : une fresque tragique géante de 2h30, découpée en trois actes et sur deux générations, ayant pour thématique récurrente la paternité, de quoi inquiéter un bon nombre de spectateurs. Mais Cianfrance relève haut la main le défi en nous livrant un film déchirant, entre drame, action et polar, qui maintient notre intérêt de la première à la dernière seconde. La mise en scène de ce troisième long du réalisateur impressionne toujours par sa peinture réaliste de la famille américaine, n'idéalisant jamais ses héros, de simples américains moyens. Les décors naturels où fut tourné le film jouent également énormément sur son atmosphère, donnant une impression encore plus réaliste à cette histoire folle qui pourtant sonne vrai devant la caméra de Cianfrance.

Mais The Place Beyond the Pines ne fait que frôler le chef d’œuvre, la faute à une inégalité dans les trois actes découpant l'intrigue, le premier étant nettement supérieur aux suivants. Plus brut, plus tendu, plus dramatique, ce premier tiers laissait présager un film parfait, avec ces scènes de moto et de braquages à vous laisser scotcher sur votre siège. Mais très vite la puissance de ce segment s'atténue avec une seconde partie plus bavarde, avant que l'intensité dramatique ne réapparaisse dans l'ultime acte du film. Toutefois, dans sa globalité, le scénario nous électrise par son originalité. Riche en rebondissements inattendues, Cianfrance aime jouer avec les sentiments des spectateurs afin de mieux les surprendre.

Qui plus est, le jeune metteur en scène montre une nouvelle fois son talent de directeur d'acteur sur ce film. Retrouvant son acteur fétiche Ryan Gosling, il donne à celui-ci un rôle en or, celui d'un homme à la dérive découvrant sa paternité et qui décide de subvenir à tout prix au besoin de son enfant, quitte à braquer quelques banques. Magnétique, Gosling offre une profondeur inattendue à ce personnage, entre violence et fragilité, une sorte de version plus loquace et plus développée de son personnage dans Drive, faisant de lui le protagoniste le plus intéressant de cette histoire. Face à lui, Bradley Cooper surprend, continuant sa carrière sur la vague plus ‘auteur’ qu'il a entamé avec Happiness Therapy et qui ne cesse de le révéler. Loin de l'étiquette de beau gosse que lui a imposé Hollywood, l'acteur apporte une interprétation nuancée à son personnage de policier tiraillé entre son devoir et la tentation de la corruption.

Hormis le tandem Gosling / Cooper qui porte le film avec le parallèle entre leur deux personnages, les seconds rôles ont une place tout aussi importante, chacun jouant un rôle dans les évènements dramatiques qui se déroulent dans l'intrigue. Tandis qu'Eva Mendes, étonnante de simplicité, et Rose Byrne apporte la touche de féminité essentielle à ce drame essentiellement masculin, on a plaisir à retrouver Ray Liotta en flic véreux dans des séquences plus proches du polar. Enfin, notons la présence d'un jeune acteur à suivre de très près, Dane DeHaan, révélé dans le film de super-héros à la sauce found-footage Chronicle, un des personnages clés dans l'ultime partie de cette fresque familiale à découvrir au plus vite.