« As long as you can still grab a breath, you fight »

Auréolé du succès commercial et critique tout récent de Birdman, Alejandro González Iñárritu se lance dans un projet autrement plus ambitieux avec un western orienté sur la survie dans un environnement sauvage faisant écho à l’époque des trappeurs, chasseurs d’Amérique du Nord au début du XIXème siècle, Di Caprio en tête d’affiche. Entre son réalisateur vantant les mérites artistiques sans communes mesures du film et l’acteur principal expliquant à quel point il s’est impliqué dans le tournage le plus éprouvant de sa vie, The Revenant a générer des attentes qui ont divisé bien que le succès ait tout de même été présent, voyons ce que j’en ai pensé.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : ★★★★★★★★☆☆



Commençons par le plus évident, la photographie d’Emmanuel Lubezki, oscarisé à cet égard pour la 3ème année consécutive, une performance historique, est absolument splendide. Dès les premiers instants où des personnages posent l’air abattu dans des environnements ravagés par le feu, les intentions artistiques dantesques sont annoncées et seront assumées jusqu’au bout. Les immenses décors naturels ont été filmés longuement et régulièrement à la lumière naturelle malgré des conditions de tournage difficiles, et si je peux comprendre que certains jugeront tant d’efforts superflus, je trouve pour ma part qu’ils forcent le respect et surtout qu’ils offrent une réelle plus-value au film.


Si on retrouve certes des images que l’on peut qualifier d’un peu stéréotypées pour émerveiller, comme les fameuses aurores boréales, la plupart bénéficieront d’un travail très élaboré et original qui transcende la beauté naturelle des lieux, se perd dans l’onirisme... et auquel il m’est bien difficile de rendre justice par les mots. Quand on sait que tourner dans des décors naturels était une condition du réalisateur pour accepter le projet et que les recherches associées se sont étalées sur plusieurs années, le choix artistique paraît très cohérent.


Le maquillage a également fait l’objet d’un soin tout particulier avec des blessures ultra-détaillées, ce qui est très important dans un film de survie où chaque blessure est une étape importante du film, et une façon d’user et de vieillir les visages, Domhnall Gleeson est parfaitement méconnaissable par rapport à son rôle la même année dans Star Wars 7. Par contre, je reprocherai tout de même des fois que le sang soit un peu trop présent à l’image avec de longs plans sur des visages ensanglantées dévorant de la chair, un animal éventré servant d’abri de fortune… c’est un peu malaisant à certains instants, ce n’est pas si souvent que ça non plus mais ça m’a assez gêné pour le souligner.


Le travail sonore nous immerge dans cette nature où les bruits d’ambiance peuvent fuser de toutes les directions, de puissantes rafales de vent balayer les lieux, des cours d’eau ruisseler autour de notre point de vue… Et l’OST composée par Ryūichi Sakamoto, Alva Noto et Bryce Dessner fait assez bien le travail pour soutenir l’ambiance contemplative ou anxiogène que le film veut véhiculer. Il faut dire qu’avec son budget très confortable, dépassant aisément les 100 millions de dollars, les moyens étaient là, mais le manque d’expérience du cinéaste dans des productions si onéreuses, habitués plutôt à une moyenne de 20 à 30 millions tout au plus, pouvait laisser craindre un manque de maîtrise à ce niveau-là.


Par contre, autant la bataille d’introduction est absolument splendide de mise en scène avec ses longs plans séquences superbement chorégraphiés entre des cavaliers amérindiens lancés au grand galop, ses perspectives de soldat ne voyant pas l’ensemble de la bataille mais luttant simplement pour leur survie… autant elle génère une attente de grand spectacle pour le reste du film qui s’éloignera pourtant nettement de ce registre. C’est un film de survie suivant la perspective d’un homme essentiellement avec une mise en scène nous plaçant souvent à son niveau avec une caméra proche de lui, par moment même subjective, comme pour la bataille mais sur bien peu de scènes façon grand spectacle. Et si ce film ne verse pas dans le grand spectacle, est-ce au profit de son scénario et de sa narration ?



SCENARIO / NARRATION : ★★★★★★☆☆☆☆



Comme il ne s’agit que d’une adaptation partielle du livre inspiré d’une histoire vraie, je vais traiter ce scénario comme s’il était original tant les libertés prises sont grandes d’après mes recherches. Le film de trappeur étant un sous-genre du western, l’univers dépeint est déjà assez singulier au cinéma et il a bénéficié d’un bon traitement de la part du réalisateur également scénariste. Les affrontements entre amérindiens et trappeurs sont l’occasion de montrer la souffrance subie par les 2 camps tout deux humanisés dès leurs premiers morts, dans le sang et les larmes.


Cette maturité refusant le manichéisme se retrouve aussi chez les trappeurs comptant parmi eux des figures héroïques et bienveillantes tout comme des brutes racistes et cupides. L’effort est fait de faire parler dans leur langue authentique les différentes communautés rencontrées, alors des français certes dans la VO, mais aussi et surtout les amérindiens du récit en pawnee. Ce n’est vraiment pas négligeable pour un film au rendu si prétendument réaliste, même si pas tout à fait à cause de quelques images de synthèse pas ultra-abouties pour certains animaux et de curieux effets de buée sur la caméra à certains moments, mais ça n’a pas trop gêné mon sentiment d’immersion à titre personnel.


Ce qui m’a davantage gêné c’est le rythme du récit très lent la majeure partie du temps qui constitue l‘un des reproches les plus fréquents et faciles faits au film mais auquel je ne peux que m’y joindre au moins en partie. Les éléments perturbateurs sont peu nombreux et très espacés dans le temps et quand on résume l’intégralité du film, on peine à croire que ça peut tenir sur 2h30 sans remplissage. Ainsi, la thématique centrale du récit autour de la survie coûte que coûte tourne assez rapidement en rond. On comprend assez vite le contraste entre une nature essentiellement paisible (à l’exception des animaux sauvages) et un monde humain essentiellement violent, tout le film ne peut pas se reposer que sur ça et pourtant j’ai l’impression qu’il le raconte encore et encore par l’image, des fois que je n’ai pas encore compris.


Je n’y suis pas insensible qu’on se comprenne bien, je l’apprécie même un minimum, d’autant qu’un réel effort est fait pour se servir des codes du cinéma pour véhiculer ce message comme quand Glass doit se retenir de cligner des yeux sur un long plan fixe pour démontrer à Fitzgerald toute sa volonté de survie, mais j’aurais apprécier plus ambitions scénaristiques ou alors davantage condensées. Et à propos de Glass, Di Caprio parvient à superbement incarner ce personnage oscillant entre la rage de vivre avec le regard d’un homme qui n’abandonnera jamais, le désespoir avec une tristesse infinie exprimée toute en retenue... tandis que Tom Hardy délivre l’une des performances que je lui préfère, moi qui ne suis portant pas le plus grand fan de l’acteur.


Le duo porte tout le film et leur nomination respective aux oscars est parfaitement justifié, Di Caprio remportant d’ailleurs sa première statuette à cette occasion alors qu’il en était déjà à sa cinquième nomination en tant qu’acteur. Néanmoins, le scénario aurait du davantage s’appesantir sur les relations entre ces rares personnages et revoir leur implication dans la trame principale. Par exemple, l’amitié qu’éprouve Henry pour Glass n’est pas assez expliqué à mon sens et ça a eu des conséquences sur mon ressenti à la fin du récit :


Autant, qu’au début du récit son sens du devoir le pousse à vouloir faire son possible pour qu’il s’en sorte ou qu’il meure dignement c’est cohérent, mais qu’à la fin du récit il risque tout quasiment rien que pour lui dans les motivations qu’il affiche, ça me paraît assez invraisemblable. Pour moi, Bridger aurait du être celui qui partait avec Glass, parce que son histoire personnelle l’obligeait à rechercher une forme de rédemption qu’importe le danger, et Henry aurait du être celui qui a une vision plus globale de la situation, voulant attendre des renforts plutôt que de s’impliquer plus que de raison dans une quête purement personnelle. Et puis le coffre laissé sans surveillance dans un camp où tous sont motivés par l’argent... sans déconner c’est un peu grossier.



CONCLUSION : ★★★★★★★☆☆☆



Parfaitement admirable sur sa photographie propulsant le film parmi les plus belles productions de son époque, porté par un duo d’acteurs ultra investis et performants dans 2 registres distincts, faisant honneur à un univers a minima singulier au cinéma… The Revenant déborde de très grandes qualités mises en opposition avec des réserves personnelles quant à son rythme excessivement lent et ses choix de scénario presque aléatoires par moment. C’est pourquoi je ne le porte pas en si haute estime malgré ses formidables réussites, je vous en recommande tout de même le visionnage pour l’expérience esthétique et viscérale unique qu’il propose.

damon8671
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le 5 juil. 2021

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