Il arrive régulièrement ce moment où, en pleine conversation, on se sent totalement désarmé face à un interlocuteur. Pas à cause d’un manque d’argument ou une faiblesse soudaine dans sa force de persuasion, non. C'est en fait parce qu’on mesure soudain, avec la violence stupéfiante d’une gifle administrée par le dernier vainqueur des jeux de force basque, l’abîme qui séparent deux conceptions du monde, dans un débat devenu alors inutile.
En une fraction de seconde, la volonté fléchit devant l’obstacle. On réalise qu’il aurait fallu commencer à débattre au début de l’enfance, quand les goûts et les opinions se forgent. Trop souvent, on s’abîme devant l’intransigeance de l’adversaire, dont la pensée semble ensevelie sous des tonnes de croyances, de principes abscons, ou d’irrationnel érigé en loi indiscutable, rendant l’échange impossible. Si le premier réflexe est de bénir la providence pour être né si libre et clairvoyant, on est rapidement amené à opérer en soi un délicat exercice d’introspection et se rendre à l’évidence: l’art est un facteur essentiel à l’épanouissement intellectuel.

Il n’est pas de débat sociétal qui échappe au thème de cette introduction verbeuse et auto-satisfaite.
 
Prenez le thème de l’assistance sexuelle aux handicapés.
Vous n’aurez pas fini d’énoncer cette série de mots pour qu’aussitôt pleuvent les rengaines sur la prostitution, la morale, et dieu dans tout ça. La prochaine fois qu’en repas de famille vous tombez sur la cousine bigote ou la vieille tante austère qui vous sert ce genre d’objection spécieuse, ne répondez rien. Avec calme et détermination, trouvez un écran, sortez les pinces à œil d'Orange mécanique de leur étui, et diffusez "the sessions".

Handicap ou pas cap ?

Ce serait pourtant bien réducteur que de cantonner le film de Benn Lewin à un manifeste défendant une cause. Car s’il parvient à ce résultat, ce n’est que grâce à la somme de ses qualités. C’est par sa légèreté et sa profondeur, sa capacité à aller au cœur de son sujet sans fard mais surtout sans parti-pris que « the sessions » se révèle dans toute sa puissance.
Un personnage, plus que tous les autres, incarne cette lucidité narrative et cette réussite artistique : William H. Macy campe un prêtre dont l’ouverture d’esprit et le prosaïsme illumine chacune des scènes dans lesquelles il intervient, avec une justesse d’écriture et d’interprétation qui à elle seule pourrait suffire au mérite du film. Mais ce n’est évidemment pas le cas, et il serait criminel de passer sous silence les performances d’Helen Hunt (tour à tour sublime ou hideuse) et John Hawkes.
 
En fait, je ne m’attendais pas du tout à ce genre de film, et je dois avouer avoir été proprement cueilli par sa force limpide, sa simplicité, son humour mais aussi sa frontalité (n’est-ce pas, miss Hunt ?) et lorsque l’émotion s’est emparé de mon petit être, en fin de métrage, j’ai eu un peu l’impression de m’être fait avoir.
A bien y réfléchir (car on ne peut pas oublier le film, plusieurs jours après) c’est tout le contraire. Non seulement l’émotion était justifiée, mais encore est-elle soutenue par l’épreuve du temps.
Si tour de passe-passe il y a, c’est dans le fait de déguiser quelque chose d’essentiel et profond en comédie agréable et  légère.

Ce ne serait pas un peu la définition d’un grand film, ça ?
guyness

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