The Smell of Us, la fausse image d'une jeunesse bien réelle.
C'est toujours assez intriguant de voir des spectateurs quitter une salle de cinéma avant la fin d'un film... Pendant The Smell of Us, alors que le cinquantenaire qui était entré en même temps que moi dans la salle l'a quittée avant la fin de la première moitié du film et que les trois jeunes gars installés derrière moi n'ont pas tenu beaucoup plus longtemps, je me suis encore demandée pourquoi quitte-t-on une salle de cinéma avant la fin d'un film?
Il faut le dire, The Smell of Us a la gueule et le bagage d'un de ces films qui divisent la critique. D'abord par son histoire, ces gosses de riches désabusés qui n'ont d'autres occupations que de picoler, fumer des spliffs, se bourrer le crâne de drogues et vendre leurs culs aux plus offrants. Le début du film m'a fait comme un air de déjà vu, un ancrage dans le réel qui fait remonter sa propre histoire à la surface, créant cette ligne d'horizon où réalité et fiction se mélangent - et où le cerveau ne sait plus trop si il agit ou reçoit simplement des images qui résonnent comme de vieux souvenirs. Puis par son format, les sauts d'humeur de la caméra qui font disparaître le liant de la fable pour ne se concentrer qu'à filmer la chair en action, les prises de vue qui amoindrissent la lumière pour nous maintenir dans une zone d'ombre, et une B.O envoutante qui dilapide la narration. Pourtant, le parti pris que signifient toutes ces composantes ne me permet pas de dire si j'ai aimé ou détesté The Smell of Us, pour moi la réponse est ailleurs.
De faiblesses en fausses forces, la tentative d'innovant de Larry Clark échoue à l'instant où, voulant parler de la jeunesse, il tombe dans le cliché, comme d'autres avant lui, d'une génération hyper sexuée, en annulant toutes autres formes d'expression chez les personnages. Tout n'est plus que sexe, sexe monnayé, sexe violent, sexe non-désiré et donc images crues, images crades et cadre dérangeant. Les gosses perdent leurs paroles et leurs histoires pour devenir ces machines à sexe que l'image et le manque de narration renvoient au public. Alors les gens sortent de la salle, évidemment. Quel intérêt de voir des ados se faire prendre par derrière à répétition? Les explications arrivent à la fin, peut-être, avec cette scène où une Jocaste moderne, au physique d'une cancéreuse et défoncée à l'alcool, essaie d'abuser de son môme. Point final. Par dessus ça, on note encore la présence d'une gamine qui, par amour ou jalousie, ira dénoncer son pote-pute à ses parents pour rajouter du trash sur le trash. Du punk sur le punk diront les fidèles de Larry Clark, moi j'ai plutôt envie de dire de l'insipide sur de l'inutile.
Avec ce film, Larry Clark surfe sur la vague d'un cinéma qui pense épouser le monde alors qu'il en crée un écran factice dénué de toutes expressions sensibles. D'échec en échec, la libération des mœurs semble porter préjudice à ce cinéma, qui bien qu'underground, se veut surtout social. Peut-être est-ce parce que la liberté de penser travestie la liberté d'image? Surement. Larry Clark comme certains de ces prédécesseurs qui ont choisi de faire de l'ado-homo leur cheval de Troie pour pénétrer une réalité à laquelle leur génération n'appartient plus culbutent toujours dans la faille du fantasme. Et le caractère biographique de l'œuvre n'empêche rien puisque le manque du film n'est finalement pas dans l'art mais plutôt dans la manière de raconter cette nouvelle identité générationnelle.
Lorsqu'un film permet d'imaginer le regard rivé d'un Larry Clark ou d'un Kechiche sur les corps en action de jeunes acteurs censés jouer des ados, c'est qu'il nous permet de sortir du cinéma, de sortir de la fiction. C'est que les procédés techniques et narratives ne parviennent pas à cacher le rouage du réel. Et pourtant, tout cela s'exprime sans réelle volonté de distanciation, ce qui est d'autant plus gênant. Ce qui pousse le public hors de la salle.
Les ados de The Smell of Us sont tenus à la vie par leur passion pour le skate, les passions qui les lient les uns aux autres et, en second lieu, font l'expérience de l'argent facile par la prostitution. Avec Larry Clark, cette expérience définie leur identité. Ils ne sont rien d'autres. Ce qui rend les tentatives émotionnelles -comme cette scène avec la vielle cliente au corps usé par la vie- vaines parce que noyées dans une vision à la fois fantasmée et désabusée de la jeunesse d'aujourd'hui.