Pour l’histoire, Ginger & Rosa c’est deux gamines dans les 60’s, en Angleterre. Deux gamines unies par la vieille amitié de leurs mères, leur rapport bizarre à leurs pères et leur putain d’envie de sauver le monde, ou plutôt leur monde, de tout ce que le passé fait peser sur leur société, et plus précisément, de la bombe atomique.
Tissé par l’intérêt porté à cette embuscade qu’est l’adolescence et un contexte politico-social favorable à la crise identitaire, Ginger & Rosa propose une lecture romantique mais féconde de la génération des baby-boomers. Elle Fanning et Alice Englert y tiennent chacune un rôle époustouflant, l’une (Ginger) est une adolescente engagée dans toutes les causes, amoureuse de poésie et absolument admirative de la pensée communiste et libre de son père intellectuel, et l’autre (Rosa) est une fille en passe de devenir femme, privée de père mais qui partage la même admiration pour Roland, le père de Ginger. La très grande force du film, c’est cette Angleterre complexe et libertaire qui a dit « adieu » aux consignes du vieux monde en saluant le progrès total à travers la bombe nucléaire, cette Angleterre sociale où l’image que l’on donne d’un peuple reflète la pensée ambigüe d’un monde qui ne sait que faire de ces nouveaux acquis. Forcément, Ginger & Rosa sont dans la lutte, du côté de l’humanisme, de l’espoir absolu. Cette ambivalence entre la pensée du milieu social auquel les filles appartiennent et la réalité du monde nourrit le film d’une tension tragique qui laisse supposer l’envolée violente des idéaux. Tragiques aussi sont les grandes figures féminines dont ces personnages d’adolescentes sont inspirés et tragique encore sera la fin shakespearienne et l’effondrement dans la folie.
Tinté de références et de saluts aux plus grands actes de réalisation, Ginger & Rosa prouve le talent de Sally Poter en termes de composition. Sans virer dans le cliché de la sépia, la photographie est inspirée et nourrie de décors qui nous transportent à Londres, dans cette guerre froide qui tourmente les idéaux des jeunes filles. Le cadrage est juste, maîtrisé et porte le film vers cette fin splendide que Strindberg aurait écrit de la sorte :
« Quand on garde trop longtemps le silence, il se forme des eaux stagnantes et croupissantes et c’est ce qui se passe dans cette maison. Ce n’est pas la pourriture qui manque, ici ! Et moi, la première fois que je vous ai vue entrer ici, j’ai cru que c’était le paradis… (…) Où est la beauté ? Dans la nature et dans mon âme quand elle porte ses habits du dimanche ! Où sont l’honneur et la fidélité ? Dans les contes et les spectacles pour enfants ! Où sont les promesses tenues ? Dans mon imagination ! – Vos fleurs m’ont empoisonné et je vous ai rendu leur poison – » (La Sonate des Spectres)
Ginger & Rosa est une révérence au drame quotidien, à la tragédie de tout un chacun, et je vous conseille vivement de le regarder.