Le monde merveilleux de Facebook
Je suis toujours surpris de la réactivité des cinéastes américains à s'emparer des grands sujets de leur "histoire contemporaine" récente ou de traiter de destins de grands personnages encore vivant, comme c'est le cas ici. C'est courageux et admirable. Nous, français, en sommes quasiment incapable. Peut-être par peur des risques et notre incapacité à prendre du recul sur les sujets à aborder... Je n'ai pas la réponse.
Ici, David Fincher et Aaron Sorkin adaptent une biographie-enquête sur la naissance controversée de Facebook et la personnalité ambigüe de Mark Zuckerberg, son créateur (?). Perso, je trouve ça sacrément gonflé! D'autant que là, il ne s'agit pas de s'attaquer à un phénomène de société qui date de 20 ans ou plus, mais d'un phénomène devenu mondial il y a moins de 10 ans...
Le travail de scénariste d'Aaron Sorkin est excellent. En même temps, le travail avait été pré-maché par le biographe Ben Mezrich. Mais tout de même... Zuckerberg, lui-même, a déclaré que tous les faits rassemblés dans le film de Fincher étaient exacts. Il a cependant exprimé plus de réserves sur la psychologie des personnages. A mon avis il n'a pas apprécié l'analyse sous-jacente que le scénariste et David Fincher font de cette jeunesse dorée des grandes universités américaines, cynique et sans scrupules et surtout le portrait pas toujours clairs qu'ils brossent de son personnage et de son attitude.
La question qui me taraude après avoir vu le film c'est: est-ce que Zuckerberg a manipulé tout son petit monde pour devenir ce qu'il est devenu où s'est-il laissé volontairement manipuler ? Le film ne donne pas vraiment la réponse et ce n'est pas son propos. Il a le mérite de poser plusieurs questions sur Zuckerberg, mais également sur la mondialisation des échanges, et le but peu altruiste des créateurs et des décideurs.
C'est un fait, que Zuckerberg ai manipulé ou se soit laissé manipulé par consentement stratégique, c'est un génie. Arriviste et opportuniste bien plus que manipulateur, peut-être. Après tout, il n'est pas né avec une cuillère en or dans la bouche. Donc un génie intelligent et profitant des circonstances et des failles et faiblesses de cette jeunesse dorée et prétentieuse sûrement ! A cet égard, Fincher et Sorkin donnent une clé à la fin du film quand l'avocate, Erica Albright, lui lance "Vous n'êtes pas méchant, mais vous ne faites rien pour vous faire apprécier"...
Au-delà du portrait de Zuckerberg, parfaitement incarné par Jesse Eisenberg au mimétisme troublant avec l'original, c'est aussi une réflexion sur la communication et la mondialisation des réseaux. Car Facebook, création intellectuelle de Zuckerberg, c'est un peu une projection de lui-même, du moins, de sa façon de "communiquer" avec le monde qui l'environne. Zuckerberg est un Geek, et en ce sens le film brosse le portrait de tous les Geeks, planqués derrière leur écran, pour la plus part asociaux, névrosés et angoissés à l'idée d'avoir des rapports directs avec autrui et incapables d'extérioriser leurs émotions en public...
C'est aussi le portrait d'un monde replié sur lui-même, très égoïste, où tout se décide entre gens très privilégiés, cultivés et intelligents, souvent cynique, insensibles, se croyant au-dessus de la mêlée de par leur pouvoir social et qui pense acquis leur pouvoir de décision sur la sphère économique mondiale... peu reluisant (cf les jumeaux Winklevoss et Sean Parker) !
Le seul personnage, a qui le film, semble rendre justice c'est le co-créateur Eduardo Savarin, lâchement "sacrifié" en cours de route... Pour ma part, j'ai ressentie une empathie profonde avec le personnage d'Andrew Garfield qui crève l'écran.
Cinématographiquement parlant, je suis plus réservé sur les choix esthétique de Fincher avec la photo jaune pipi du chef op Jeff Cronenweth. Quelques moments de grâce, notamment lors du championnat d'aviron au Royaume-Uni. Même si Fincher sait filmer et cadrer, son ambition n'est pas de faire dans le spectaculaire c'est certain. Il met l'intelligence de sa mise en scène au profit de l'histoire et des personnages, comme l'on fait certains de ses prédécesseurs dans certains films enquêtes à portée politique ou sociale dans les années 70 (cf "les hommes du président", "Norma Rae", "Les Trois jours du Condor", "Network"...). Puis cerise sur le gâteau une BO électro collant parfaitement au sujet et que j'écoute en boucle, désormais!
Vous vous demandez certainement pourquoi après avoir dit tant de choses positives sur ce film, j'ai mis une note très convenable mais pas si élevé... Parce que j'ai eu du mal a rentrer dans le film, un peu ronflant et difficile à suivre dans la première demi-heure à cause des retours incessants entre passé et avenir (les procès) un peu maladroit et pas toujours montés à bon escient, et le côté abrupte de la fin, avec cette impression qu'il manque quelque chose mais on ne sait quoi... D'ailleurs peut-il y avoir une fin à un film qui traite d'une aventure qui n'est pas prête de prendre fin?
Comme beaucoup de bon film je pense qu'il faut revoir le film plusieurs fois avant de l'apprécier à sa juste valeur... Chez moi, c'est un problème récurrent que j'ai avec les films de David Fincher de toute façon...