Le portrait fidèle d'une époque qui croit avancer en appuyant sur F5.

Par Julien Abadie

A qui attribuer la paternité de The Social network ? A David Fincher réalisateur ou Aaron Sorkin scénariste ? On posait la question sous forme de preview dans Chronicart #68, elle est encore plus prégnante après avoir vu le film : pas une ponctuation du scénario n'a bougé dans le transfert cinématographique, rien de sa beauté cinétique et dialectique n'a été altérée, tout est là, intact et souverain. Pour conter l'histoire de la création de Facebook par Mark Zuckerberg, le cerveau derrière The West wing a imaginé un mouvement dramatique limpide mais complexe, une structure centripète, tout en flash-back / forward, qui ricoche à toute vitesse de l'aventure industrielle aux procès qui en découleront. Il y a quelque chose de jouissif mais profondément déstabilisant dans ce ping-pong spatio-temporel, comme si le film clamait l'urgence d'un présent perpétuel. Même le centre de gravité du film n'en est pas un : Mark Zuckerberg (Jesse Eisenberg, marmoréen donc idéal) est une figure fuyante, insaisissable, capable de tenir trois conversations en même temps mais ne s'intéresser à aucune. Une impression qui va durer jusqu'à la conclusion, moment où les enjeux vont miraculeusement converger et se rééquilibrer. Plutôt que de bêtement raconter Facebook, Sorkin a en fait choisi d'incarner ce qu'il est : dialogues, vitesse, rebonds. Un brouillard langagier et temporel d'où émerge, ça et là, le paysage d'un monde qui change, l'histoire d'un transfert de pouvoir des lambris de Harvard jusqu'aux open-spaces de Palo Alto.

Alors ? Film de scénariste ? Trop simple, on s'en doute. Conscient de la suprématie du rail narratif de Sorkin, David Fincher n'avait simplement d'autre choix que de s'y soumettre. Il n'est qu'à voir le montage de l'étourdissante séquence inaugurale, qui va jusqu'à épouser les coupes proposées à l'écriture : on ne dérègle pas une horlogerie suisse. D'un strict point de vue narratif, la transparence de Fincher est quasi totale. C'est ailleurs que son influence se signale, dans sa manière de dire autre chose que son scénario. Par là, on ne veut pas convoquer la fameuse formule truffaldienne (le trop radical « On filme contre son scénario »), juste saluer la coloration que Fincher a choisi de donner à tout ça. Il aurait été facile de tirer des mêmes mots de Sorkin un film édifiant, de stabilobosser le drame de Zuckerberg, ce nerd qui a bâti Facebook sur le cadavre de ses copains d'avant. Facile aussi de céder aux sirènes mainstream, de basculer dans le Ron Howard's movie où un geek en tongs conquiert la Silicon Valley en deux vannes et trois lignes de code. Fincher opte lui pour une voie médiane : alors que sur le papier l'affaire hésitait entre techno-tragédie et comédie pour nerds, c'est une légèreté inconséquente, presque pop, qui va prendre le pas. Un choix à la fois cohérent et paradoxal. Cohérent parce qu'il vient relayer les principes directeurs du scénario (dialogues, vitesse, rebonds), paradoxal en ce qu'il grise la noirceur sous-jacente de cette histoire et le sérieux de ses enjeux. (...)

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Chro
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le 14 avr. 2014

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