Belle peinture du monde de la culture institutionnelle et plus précisément de l’art moderne contemporain, coté musée national et gratin mondain, ainsi que du fonctionnement des médias et de la communication.
Beau portrait de la société suédoise et plus largement européenne, où l’entraide, l’empathie, la confiance envers son prochain ont disparu pour laisser place à l’individualisme et au repli sur soi. Une société où on ne répond pas aux appels au secours des personnes en détresse et où l'homme moderne, en perdant son animalité a perdu une part de son humanité.
Le réalisateur suédois utilise tour à tour la farce, la comédie et le malaise en provoquant volontiers le spectateur pour le faire réagir et en se délectant de mettre en avant le petit détail incongru qui fait mouche. Le film s'apparente à une série de sketches sur un même thème. C’est souvent drôle et efficace, quoique assez inégal. Il y a certaines lourdeurs et redondances mal venues et notamment 2 scènes catastrophiques à mon sens.
La première, un happening devant les huiles essentielles du monde de la culture et des arts, où un "sauvage", mi-homme mi-singe, crée le malaise en dépassant les bornes de la bienséance est jusqu’au 3/4 très forte, mais devient malheureusement ratée à cause d’un mauvais timing. Elle est d’une part trop longue et surtout elle perd de sa pertinence du fait que l’assistance met un temps infini à réagir, ce qui est tout à fait invraisemblable. Il est impossible que personne ne réagisse quand l’intrus s’en prend à la jeune femme et qu’un homme ne s’interpose que quand il la viole devant tout le monde. Dans cette scène Östlund veut démontrer que si un importun s’en prend à un groupe, chacun va baisser la tête et se faire tout petit dans l’espoir qu’un autre sera la victime et que c’est bien ce genre d’attitude qui mine le solidarité sociale. Mais comme la réaction des convives n’est pas conforme à ce qui se passerait dans la réalité, sa thèse devient du coup beaucoup trop caricaturale et perd de sa force.
La seconde est l’interminable scène où le petit de la cité vient demander réparation. Venant d’un homme aussi compréhensif que Christian, il est invraisemblable qu’il se conduise de la sorte et c’est donc bien plus tôt qu’il aurait du accepter de téléphoner aux parents du gamin. Alors d’accord, Östlund voulait sans doute montrer le cheminement intérieur de Christian, d’abord outré qu’un "petit sauvageon" vienne l’importuner chez lui devant ses filles, puis acceptant de descendre de sa tour d’ivoire pour porter secours à un enfant démuni. Il voulait sans doute aussi placer en passant quelques plans esthétiquement porteurs comme cette plongée sur Christian au milieu des sacs poubelles, mais que cette scène est longue et lourde !
Ces deux scènes ratées font très mal à la crédibilité du film et j’avoue que j’ai eu du mal à m’en remettre, d’autant que la fin n’est pas non plus exceptionnelle. Cette tendance à étirer exagérément des scènes, était déjà présente dans son précédent long métrage, Snow Therapy, et il serait tout de même bon que le réalisateur suédois perde cette fâcheuse manie. Ceci dit, The Square suscite des questions intéressantes et possède d’autres scènes vraiment réussies, comme celle du vol à la tire ou celle à la fois gênante et drôle du préservatif post coïtum (animal méfiant).
Pour ce qui est de la pertinence de lui donner la Palme d’or, elle est de mon point de vue discutable, mais d’après les autres films que j’ai vus et ceux dont j'ai entendu parler, la sélection n’était pas non plus d’un très haut niveau cette année. The square présente l’avantage d’être iconoclaste et intéressant dans le regard qu’il pose sur nos sociétés occidentales, dénonçant cette peur de l’autre, avec un humour caustique corrosif et dénué d'angélisme. Il joue aussi son rôle de poil à gratter et maintient le spectateur en éveil en l'incitant à réfléchir, ce qui n'est pas la moindre des vertus.