The Strangers
7.5
The Strangers

Film de Na Hong-Jin (2016)

Le problème de la vraisemblance, (celle du scénario, des personnages...) de ce film a été largement relevé et commenté dans de nombreuses critiques ici même. Notamment la nature des personnages les plus inquiétants de l'histoire : le Jap et la Femme blanche, deux faces réversibles du bien et du mal. Et il semble en effet que quelle que soit la façon dont on essaie de comprendre The Strangers, on ne trouve jamais d'interprétation satisfaisante pour s'expliquer toutes les incohérences constatées. Et d'aucuns de regretter qu'on puisse ainsi se jouer du spectateur en switchant à l'infini sur la nature des personnages au détriment de la logique.
Mais on peut aussi envisager les choses autrement et se dire que les incohérences qui émaillent le scénario relèvent peut être d'une autre problématique qui traverse tout le film et que l'on peut résumer en une question : les figures de l'imaginaire, de l'inconscient ne prennent-elles pas le pouvoir dès lors que l'on croit trop en elles ?
En effet, le réalisateur a fait le choix d'un personnage principal atypique : un brave père de famille qui a tout de l'anti-héros. Ce petit flic de province s'avère d'emblée sous des jours peu reluisants : fainéant, lâche, concupiscent, trouillard et surtout crédule ! Plusieurs scènes le montrent dans toute l'étendue de ses défauts : il laisse ses collègues faire le sale boulot, son visage s'épouvante à la vue des horreurs qui touchent le village, il s'envoie en l'air (sans grand succès) dans sa voiture de service avec une voisine et son manque d'autorité n'est pas la moindre de ses faiblesses. Il y a donc de la part du réalisateur une volonté évidente de camper un personnage à la psychologie très spécifique : un faible. Intéressant ! D'autant que deux personnages vont lui opposer les qualités morales qui lui font défaut : sa fille, qui précisément compense son jeune âge par une grande maturité et à qui on ne raconte pas d'histoires. Et son collègue d'enquête qui prend davantage de recul sur les rumeurs qui circulent (Cf la scène avec le type qui raconte sa rencontre avec le vampire de chevreuils)
Quant aux "méchants" ou supposés méchants, ils sont nombreux et polymorphes : démoniaques, fantomatiques, zombiesques, vampirique et bestiaux.
Tout le film repose dès lors sur la confrontation entre un flic crédule et ces créatures qui vont d'autant plus s'imposer et se diversifier qu'on leur accordera crédit. Dès les premières scènes il est question de rumeurs qui courent, d'histoires inquiétantes... Balivernes, histoires à dormir debout qui vont pourtant envahir l'inconscient du flic et rejaillir sous forme de cauchemars. Il va croire ces racontars, il va se représenter les monstres et ceux-ci vont en profiter pour se développer sous toutes les formes de peurs qui existent. Et tout le panthéon des monstres du cinéma d'horreur va dès lors se manifester : femme fantôme à la The Ring, homme des bois aux yeux rouges, morts tordantes (dans tous les sens du terme) à la Alien (ou The Thing), gamine possédée à la Linda Blair, chien démoniaque, chaman manipulateur, Diable tout puissant et même technologie au service du mal (l'appareil photo).
Ainsi, le film interroge sur la capacité des hommes à donner de la puissance à leurs croyances. La scène finale montre deux situations en miroir : le flic face à la manipulation de la femme blanche (jusqu'où doit il la croire - et nous avec) et le jeune prêtre face au Jap qui se transforme en la forme du mal à laquelle précisément est prêt à croire un homme de dieu : le diable en personne.
Il est très intéressant de noter d'ailleurs qu'à la toute fin du film, le diable (figure "choisie" par l'inconscient du prêtre donc) manipule l'appareil photo, accessoire nécessaire à son emprise sur les gens. Or, qu'est ce donc si ce n'est une inversion des rôles ? La créature de cinéma (ici le diable) fixe à son tour l'humain sur de la pellicule et à partir de là le manipule à volonté.


Le film interroge ainsi - par inversement des rôles et confusion des genres - notre aptitude, à nous spectateurs, à croire en ces histoires et à fabriquer des monstres. Des monstres - ces Strangers - fruit de notre imagination qui s'échappent et s'affranchissent pour prendre le pouvoir quitte à faire n'importe quoi : le meilleur exemple qui soit, cette incroyable scène du zombie affamé qui réussit la gageure de provoquer chez le spectateur autant de frissons de terreur que de rires nerveux. Un vrai cas d'oxymore cinématographique.
Un film contradictoire, dérangeant mais sans doute plus subtil qu'il ne parait.


Mise en scène : 8/10
Scénario : 7/10
Interprétation : 8/10


8/10

Créée

le 18 août 2016

Critique lue 778 fois

10 j'aime

4 commentaires

Theloma

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10
4

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