Après Refn, c'est donc désormais à Na Hong-Jin de s'attaquer aux démons même si ce n'est pas chose nouvelle pour ce réalisateur. Dans les deux œuvres en effet, les "monstres" ont faim de chair et de sang.
Tandis que chez NW Refn le démon était fruit de l'artifice, Na Hong-Jin préfère quant à lui l'exploiter dans un milieu des plus naturel et authentique à savoir la Corée rurale. Il délaisse ainsi la ville grisâtre, labyrinthique et morbide explorée dans son classique The Chaser puis dans son plus poussif mais prenant The Murderer. Une ville alors assimilable à un personnage tant elle impactait sur nos deux anti-héros au même titre que la campagne ici.
Notre "héros" parlons-en. Un ancien flic solitaire reconverti dans le proxénétisme puis un chauffeur de taxi criblé de dettes et abandonné laissent place à un policier (des policiers systématiquement incompétents et profondément stupides dans les deux premiers films via leur "enquêtes" et courses poursuite par exemple).
Ce personnage de loser qui n'en fait qu'à sa tête est dans The Strangers plus poussé que jamais. Flemmard si on en croit son chef, peureux au possible (grâce notamment à un humour des plus efficace) et soumis à sa "belle maman" ; mais aussi père et mari aimant là où dans ses deux premiers exercices Na Hong-Jin nous montrait un personnage toujours seul dans sa quête comme dans sa vie.
De personnage ayant tout perdu, le réalisateur passe à un individu qui cette fois-ci a tout à perdre. Un anti héros plus entouré que jamais et tiraillé par ses choix, ses obligations et ses responsabilités.
Ainsi le film démarre-t-il sur une enquête faisant suite à une succession de meurtres aux origines encore inconnues. Mais rapidement, les dires et rumeurs sur un étrange japonais vont amener le film policier à devenir un véritable thriller surnaturel (et non fantastique !) au moyen d'un environnement rural où différencier les vivants et les morts est impossible tant l'imaginaire peut se mêler au réel. Un véritable changement de dimension qui s'opère peu à peu, une descente aux enfers diront certains.
Face aux impasses et incertitudes, la croyance s'avère être dès lors une des problématiques clé dans ce film, autant pour nos protagonistes que pour le spectateur.
Avant d'aller plus loin il est important de préciser que Na Hong-Jin n'abandonne pas pour autant ses thèmes et obsessions. Un anti-héros toujours sujet aux souffrances comme nous l'avons vu, mais surtout cette idée du chasseur chassé que l'on redécouvre encore ici. Central dans The Chaser et The Murderer, ce thème est d'autant plus fondamental que notre policier va devoir enquêter pour la survie de fille. Chasseur de démon mais aussi proie de ce dernier !
The Strangers est donc un film sur l'étrange, sur l'étranger mais aussi sur le credo (métaphore filée du pêcheur dès le premier plan), sur la famille, sur la société allant de la comédie noire au thriller surnaturel et horrifique (c'est cadeau Romero !). Un film sur la manipulation et l'imaginaire, sur les croyances.
Face à l'étrange, l'Eglise comme la Médecine sont ici impuissantes. En effet on ne peut que croire et agir en conséquence. L'imagination est omniprésente. Cependant comme le dit la maxime Pascalienne "cette partie dominante dans l’homme, cette maîtresse d’erreur et de fausseté, et d’autant plus fourbe qu’elle ne l’est pas toujours". Victimes des "on dit", des "rumeurs", des "brèves de comptoirs" et des hallucinations dont cette campagne semble être le parfait terreau, les hommes créent leurs démons afin de feindre leur ignorance, mais en vain.
Jusqu'à la fin, avec une tension dramatique des plus captivante, nous ne savons pas nécessairement qui dupe, qui trompe. Mais nous savons en revanche qui est dupé. D'où un certain malaise ambiant à cette oeuvre aussi fourbe que maîtrisée.
Avec des acteurs au top (mention spéciale pour le trio composé de l'étranger, de la fillette et du policier Jong-Goo) et une réalisation plus angoissante que jamais comme en témoigne cette campagne tantôt purement contemplative, tantôt morbide et renversante ; The Strangers est une oeuvre disparate qui aurait pu (et du) se perdre mais qui pourtant fait preuve d'une grande cohérence.
Plus que dans ses deux précédents films, c'est un monde de pécheurs qui nous est dépeint. Ce sont les hommes qui justifient la présence de ces démons. Allant du burlesque au gore (même si de ce point de vu le film est plus discret que les précédents), The Strangers est dérangeant dans notre rapport au film tout comme les personnages sont dérangés dans leur rapport au réel. Une véritable chasse où se mêlent haine, ignorance et peurs.
Si The Murderer avait pu créer un doute, The Strangers à défaut d'apporter des certitudes à ses personnages nous en apporte à nous spectateur : Na Hong-Jin est définitivement un cinéaste sur qui il faudra compter.