Ça manque de rose tout ça
Noir et blanc sont dans une pièce à la décoration spartiate pour refaire le monde et décortiquer l'humanité, ses croyances, ses paradoxes, sa volonté de vivre, mais aussi de mourir. The sunset limited transpose sur grand écran une pièce de théâtre portant la marque noire de son auteur, celle de l'acide Cormac McCarthy. Aux manettes de l'adaptation, Tommy Lee Jones s'attribue l'un des deux rôles titres et invite son copain Samuel L. Jackson pour l'occasion. Dès lors, l'attente monte d'un cran, voir ces deux grandes gueules du cinéma ricain se mettre sur la tronche à coup de verbes affûtés a quelque chose d'intriguant. Deux forts tempéraments talentueux peuvent-ils porter à bout de bras cette histoire uniquement faite de mots ? Comment l'acteur réalisateur va-t-il user de l'espace restreint qu'il s'accapare pour faire vivre un matériau pensé à l'origine pour le théâtre ?
Si la promesse tenue par les deux hommes est remplie avec les honneurs, il y a par contre bien à redire sur l'exercice de théâtre filmé en lui-même. Tommy Lee Jones ne parvient pas à faire sien l'espace qu'il occupe de ses caméras, résultat, on sent beaucoup trop ces dernières. Entre changements de plan sauvages et montage fait au hachoir, on peine à se sentir invité dans cette pièce qui nous restera étrangère. S'installe alors une distance désagréable entre ces deux hommes qui se battent à coup de phrase et nous, spectateur, qui devons nous contenter de la leçon de vie qu'ils assènent avec de jolies formules sans pouvoir la remettre en question.
Tout est asséné avec une telle vélocité qu'il est difficile de conjuguer assimilation du phrasé et interprétation de son sens. Les deux acteurs débitent en continu leurs thèses contradictoires sur l'être humain et peu à peu, cette passion qui nous animait en début de film finit par s'estomper, le discours se perdant quelque peu dans un schéma de débat en mode ping-pong bien trop classique pour captiver pendant 90 minutes. Dommage, la fin est, elle, réussie: avec une simple porte et des mots finement choisis, le sens même de la joute verbale qui s'est tenue est remis en perspective.
S'impose en fin de séance un sentiment particulier, cette impression d'avoir assisté à un film solide, dont la puissance des dialogues est indiscutable, dont le fond, très dense, est passionnant, mais qu'on aurait aussi bien pu lire dans un bouquin. Certes il y a bien ce duel magique entre Preacher Jackson et Punk Lee Jones qui rend cette adaptation croustillante, mais je ne peux m'empêcher de penser, après coup, que la lecture du script m'aurait certainement plus passionné que sa version imagée un brin poussive.