Je n'avais qu'un vague souvenir assez mitigé du téléfilm en deux parties Les Langoliers de Tom Holland d'après l'œuvre de Stephen King. C'est donc avec curiosité que j'ai découvert The Timekeepers of Eternity, une version digest de 64 minutes (contre 180 pour le film original) totalement retravaillé par le réalisateur Aristotelis Maragkos pour un assez fascinant exercice de style.


L'histoire de The Timekeepers of Eternity est exactement la même que celle des Langoliers et pour cause puisque le réalisateur a repris l'intégralité du film de Tom Holland qu'il a imprimé image par image pour ensuite les retravailler et en faire un collage comme pour un film en stop motion. Un boulot colossal de trois ans à traiter des milliers d'images pour finir par condenser un long téléfilm déjà démodé aux CGI balbutiants en un fascinant moyen métrage d'une patine absolument intemporelle.


Mon souvenir du film de Tom Holland est trop lointain pour que je m'amuse au jeu des comparaisons afin d'établir point par point les changements narratifs et les coupes apportés par Aristotelis Maragkos. En revanche d'un point de vue purement visuel, de l'ambiance globale du film et de son originalité, aucun aucun doute possible The Timekeepers of Eternity défonce en tout point le film de Tom Holland qui prend ici un méchant et fatal coup de vieux. C'est pourtant The Timekeepers of Eternity qui visuellement semble le plus ancien avec son noir et blanc un peu sale et faiblement contrasté qui adopte un peu l’esthétique d'un vieux papier journal, mais c'est incontestablement lui qui vieillira le mieux tant les effets numériques du film original sont vingt ans après déjà furieusement ringards. Le bilan est peut être pire encore pour le film de 1995 quand on constate que tout ce qui fonctionne le moins bien dans cette version 2021 tient de ce que son réalisateur n'aura pas pu changer comme le jeu des comédiens ou la nature assez passe partout de la mise en scène du film de Holland. Pour le reste Aristotelis Maragkos réalise un fascinant travail d'artiste plasticien en arrachant toutes les pages d'un livre pour ensuite en faire un collage artistique et surtout intelligent et pertinent.


Et si l'exercice de style est déjà en soit formellement brillant il est loin d'être vain et purement graphique. Non seulement Aristotelis Maragkos réinvente et redynamise la structure du film d'origine mais par cette technique de papiers déchirés puis recollés il invente des split screens intelligents, il détoure un personnage dans l'image pour l'incruster ailleurs ou l'isoler dans le cadre, il déchire grossièrement un visage pour marquer les troubles du personnage ou déchire simplement l'image en guise de transition entre deux scènes. Outre cette technique de montage qui permet déjà au réalisateur d'apporter une grosse originalité et force au film de 1995, Aristotelis Maragkos travaille l'image elle même en froissant le papier par endroit renforçant de cette manière un mouvement, un impact ou l'étrangeté d'un personnage ou comportement. Et lorsque un personnage du film se retrouve entre la vie et la mort le réalisateur fait judicieusement se soulever et s'enrouler le coin de l'image comme si le vent tentait de faire disparaître l'image et par extension l'existence du personnage. Et puis comment ne pas parler des Langoliers eux même qui dans le film de 1995 sont en CGI bien pourris (avec bien sûr l'excuse de l'époque) et qui se retrouvent ici sous la forme de boulette de papier chiffonnées et dentées dévorant littéralement l'image pour ne laisser derrière eux qu'une page vierge et blanche. Le plus malin dans tout ça c'est que toutes ces audaces visuelles et cette technique d'animation viennent trouver un écho dans le film lui même avec l'obsession du personnage de Craig Toomy (Bronson Pinchot aussi mauvais en noir et blanc froissé qu'en couleurs toutes lisses) à déchirer méticuleusement des bandelettes de papier dans les magazines.


L'art c'est la capacité à transformer la matière pour en extraire la beauté et la pertinence, Aristotelis Maragkos en partant d'un téléfilm formellement assez insignifiant a réussi à créer une œuvre à la fois visuellement fascinante tout en lui donnant de l'intelligence, de la singularité, de la patine et de la pertinence. L'exercice possède sans doute ses limites mais si Aristotelis Maragkos souhaite renouveler l'expérience avec d'autres films sans personnalité (il y a l'embarras du choix) , je suis preneur.


freddyK
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le 28 mai 2024

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