Franchement, je suis ici confronté au problème dit de la « note intermédiaire ». Ce film me laisse un sentiment très mitigé. Mais malgré tout, pour différentes raison, mon avis reste assez positif. Je pense que ma vraie note ici serait plus « 6.5 ». Bref passons. Un film de plus de 2h intégralement en langue des signes, sans aucune forme de traduction ou d’explication possible, faut avouer que c’est alléchant. Le concept est audacieux et peut clairement offrir de sacrés moments de cinéma.


Mais déjà, le film tombe dans un travers assez fréquent de ce genre de film à concept : celui de sacrifier la cohérence de l’univers dans lequel il s’établit uniquement pour pousser son projet le plus loin possible. En effet, ici, le réalisateur tient tellement à maintenir son absence de parole qu’il finit par en devenir trop irréel (et dans un film qui est tourné de manière ultra réaliste, c’est contradictoire).


Sans spoiler, je pars du principe que vous avez déjà lu le résumé du film. Donc je vais évoquer des termes qui, normalement, sont acquis.
Quand les macs emmènent les 2 filles voir les camionneurs, je peux tolérer l’absence de parole en supposant que les camionneurs parlants sont des habitués de ce genre de pratiques. En revanche, lors des scènes dans le train où nos personnages veulent vendre des peluches, absolument rien. Si moi-même j’étais confronté à un sourd-muet, j’aurais sans doute un petit réflexe de parole en plus des gestes. Ici, non.
Dans un sens, je suis sûr que c’est un parti pris de réalisation volontaire, afin de coller réellement au ressenti des sourds-muets. Mais à ce moment-là, pourquoi ajouter quelques voix (même inintelligibles) lors de la scène à l’ambassade d’Italie ? Qu’on se comprenne, je ne demandais pas à ce que l’on ajoute plein de dialogues, mais juste d’éventuels petits « non », « ok », pas forcément intelligibles. Cela aurait permis de situer le film dans une certaine réalité ET, paradoxalement, de renforcer son propos et sa note d’intention.
De même, autre point assez rebutant : ce film ne possède quasiment aucun plan rapproché quelconque. Dans l’idée évoquée précédemment, cela permet de ne pas entendre de paroles dans le cas où les personnages sont confrontés à des parlants, et de l’autre cela entretient constamment les personnages dans leurs bulles : ils sont « différents ». Même si cela n’a aucune intention malveillante à leur égard (du moins, je pense), absolument rien n’est fait pour nous rapprocher d’eux. Il y a bien, à un moment dans le film, l’espoir d’une évolution au travers des deux personnages principaux et de leur relation. Le cadre est plus rapproché lors de la deuxième scène et se situe également dans un environnement moins glauque et plus chaleureux. Mais cela ne dire pas…


Le film se présente comme une succession de très longs plans séquences de plus de 10 minutes, parfois en cadrage fixe, parfois dans des plans en mouvement qui, il faut le reconnaitre, sont particulièrement bluffants. Là-dessus, je ne peux que féliciter le cadreur/steadicameur pour le travail monstrueux qu’il a dû accomplir en suivant partout ses personnages, même dans des décors peu évidents.


Et si encore l’histoire arrangeait les choses… Mais là encore, le glacial l’emporte. Comme je l’ai expliqué, on n’arrive à s’attacher à absolument personne. L’environnement est d’un malsain assez inouï, les situations sont toutes plus crues et violentes les unes que les autres


record absolu pour la scène d’avortement et le plan final du film…


et les personnages sont tous, dans un sens, plus des autistes au tempérament bestial qu’autre chose. Autant dire que l’austérité se tient là et pour une sacrée couche. Là-dessus, le terme de « tribu » pour les définir n’est pas mensonger. Dans un sens, c’est une intention de réalisation pour montrer qu’il s’agit vraiment d’un monde à part, mais de l’autre ce n’est certainement pas avec ce film que l’on va réellement avoir de l’intérêt pour ces personnages.


Enfin soit. Ce film m’a quand même laissé une impression étrange, entre rebut (sans doute volontaire) et fascination. Mais indéniablement, ce projet assez typé est l’un des plus audacieux jamais tenté récemment. En dehors de son concept même, il reste un film extrêmement cruel et froid, mais à la verve dénonciatrice d’une Ukraine en perdition indéniable.


Un bon film, certainement. Un « beau » film, là c’est autre chose…

Clément_Ringot
7
Écrit par

Créée

le 4 avr. 2015

Critique lue 164 fois

Jonsey Norgit

Écrit par

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