Malgré sa qualité, The Truman Show, pour moi, est avant tout associé à un souvenir de salle de cinéma. Et plus particulièrement, à celui d'une nuisance. Annoncée par deux gros genoux d'un odieux connard cognant violemment dans le dossier de mon fauteuil rouge. Sans même une excuse ou encore un « désolé » prononcé tout bas.
Une nuisance prolongée durant les premières minutes du film, quand l'importun, venu accompagné de sa conquête visiblement pas très futée, commence à lui expliquer, tout haut, ce qui se déroule à l'écran. En ne s'interdisant nullement de philosopher sur la chute du projecteur et l'intelligence toute relative de Truman, permettant à ses yeux la suite logique du film.
N'en pouvant plus, ulcéré, je me retournai vivement vers ce gêneur en hurlant « Il a pas bientôt fini Monsieur Cinéma ??? ».
Heureusement, après cela, le malotru n'a plus osé moufter du reste de la projection.
Ce souvenir occulterait presque celui de ma séance, dans son entier. Au point de penser parfois que cet odieux connard m'a volé The Truman Show et m'a empêché de pleinement en profiter. Et d'occulter son caractère purement prophétique, en 1998, Andrew Niccol, le scénariste, prédisant à peu près toutes les dérives de ce que l'on n'appelait pas encore la téléréalité.
D'en occulter aussi les premiers pas de Jim Carrey dans le registre dramatique, avec, pour seule scorie de ses hénaurmes exploits burlesques, son sourire éclatant de grand naïf et sa tirade lancée chaque matin à ses voisins d'en face parfaits.
Il est évident que The Truman Show est avant tout une histoire de libération d'un homme dont la vie ne lui a jamais appartenu. Une prison aux barreaux dorés, dont l'artificialité crée le malaise sourd, dont la perfection, le soleil perpétuel relèvent autant de la carte postale pavillonnaire que Tim Burton aurait abhorrée, que du du matte painting ou de l'effet visuel au service d'une narration pré-fabriquée.
Truman semble évoluer en pleines années soixante américaines reconstituées, idylliques, fantasmées. L'allégorie n'est plus celle de la caverne, mais à l'échelle d'une île, d'une ville ville entièrement scénarisée autour d'une vedette qui s'ignore. Sur ce canevas trop beau pour être vrai, The Truman Show élargit sa critique vers le monde autocentré du divertissement et des médias dans son entier. Un monde ne cessant de remplir ses canaux d'images devenues sans valeur, dérisoires et cruelles. Un monde se nourrissant de ses contradictions quant à la réalité de ce qu'il met sous les yeux de son public.
Un monde que Peter Weir et Andrew Niccol nous invitent à visiter côté coulisses, pour nous faire découvrir l'envers du décor, ses acteurs au double visage, ainsi que le démiurge Christof, ayant porté le storytelling de son émission vers des sommets encore inconnus en 1998.
Un démiurge hybride, qui balance entre un père de substitution pour sa créature, et le scientifique dévoyé jouant avec sa souris blanche au cours d'une expérience terrifiante de froideur.
Le chemin de la libération emprunté par Truman, personnage à la Capra qui parle Dieu pour mieux le défier, avant de s'en aller découvrir le nouveau monde, représente un appel, pour le public, tant à éteindre son poste de télévision, qu'à exercer son sens critique sur ce qu'on lui propose de consommer en terme de divertissement.
Sauf que Andrew Niccol, en 1998, semble confiant sur la capacité de son public, attitude que l'on qualifierait cependant de naïveté presque désespérée aujourd'hui, tant tout ce qu'il avait prophétisé s'est réalisé, bien au delà même de ce qu'il avait imaginé. En terme de servitude volontaire. En terme de volonté d'accéder à son éphémère instant Andy Warhol.
Mais ce que Andrew Niccol n'avait pas vu venir, c'est d'être supplanté, à peine quelques mois plus tard, par un objet pétaradant et profondément pop culture. Un objet au discours étrangement similaire, qui mettait en garde contre un système assis sur un simulacre de vérité. Qui invitait à se libérer de ses chaînes et se confrontait à un Architecte. Sauf qu'à la simplicité humaniste prônée par Peter Weir, Matrix préférera le mélange détonnant de philosophie vulgarisée et d'effets visuels jamais vus jusqu'alors.
… Rendant immédiatement caduques les paroles de Christof ouvrant le film, quant à la lassitude du public face à la pyrotechnie et aux effets spéciaux.
Andew Niccol n'avait donc pas tout vu en écrivant le scénario de The Truman Show.
Behind_the_Mask, « … Et au cas où on ne se reverrait pas... »