The Truman Show est une dystopie écrite par Andrew Niccol qui avait déjà écrit et réalisé une autre dystopie fameuse l’année précédente, l’excellent Gattaca.
Si Gattaca s’inspirait de l’univers dépeint par Huxley dans son célèbre roman "Le meilleur des mondes", le scénariste s’inspire ici plus de la science-fiction paranoïaque de Philip.K.Dick.
Ce coup-ci, Niccol ne réalise pas le film , et laisse la place de démiurge à Peter Weir qui va s’acquitter de la tâche de mettre en image le scénario de Niccol avec brio et inventivité.
Coup de génie supplémentaire, c’est à Jim Carrey qu’on demande d’incarner le rôle de Truman. Un rôle à contre-emploi par rapport aux comédies délirantes dans lesquels il s’est illustrés précédemment.
Carrey livre une performance d’une sobriété dont il n’est pas forcément coutumier à l’ époque (pour un type aussi barré que Jim s’entend) et d’où transpire une profonde humanité qui préfigure les rôles importants et plus dramatiques qu’il incarnera à l’avenir tel que Andy Kaufman dans Man on the Moon, le timide et dépressif Joel Barish dans Eternal Sunshine of the Spotless Mind ou l’arnaqueur Steven Russel dans I Love You Phillip Morris.
The Truman Show est bien entendu un film à charge contre la télé réalité émergente à l’époque en extrapolant les dérives dont elle pourrait être capable à l’avenir. Mais c’est également une attaque contre la société du spectacle dans son ensemble, qui ressemble à une autocritique de la part du réalisateur et du scénariste : Christof étant justement le reflet grossi et déformé d’un créateur devenu démiurge qui pense que son art se passe de l’impératif moral et sous prétexte d’apporter de la joie aux spectateurs justifie le fait de transformer un être humain en une source d’intrigue, en objet scénaristique et enfin en simple source de revenu.
Au milieu de cet univers fait de faux-semblants, où les lignes de dialogues ne sont que des publicités déguisées, où tout ce qui se voit peut s’acheter, se trouve Truman, le seul humain ayant des réactions véritables. Le fait que le personnage principal porte le nom de Truman n’a évidemment pas été choisi par hasard par Niccol : Truman est le seul homme vrai qui reste dans ce monde factice.
Il y a ici une volonté claire de démonter une société consumériste qui ne se soucie plus de l’humain mais cherche à l’enfermer dans un cocon sécurisé, en le privant de sa liberté. C’est d’ailleurs un des arguments développés par Christof pour que Truman reste dans sa prison dorée : ici, dans ce spectacle confortable à l’abri du vrai monde, Truman sera en sécurité.
Peter Weir permet également à ce discours d’atteindre une forme d’universalité en montant en parallèle les aventures de Truman pour se libérer de cet univers carcéral et les spectateurs, tout aussi prisonniers du spectacle que le protagoniste de leur série phare, incapables d’éteindre la télévision, et vivant leur vie par procuration à travers celle de Truman.
Et lorsque Truman tire sa révérence, il se libère et libère également les spectateurs de la série et peut-être aussi un peu les spectateurs du film, dans une monstrueuse mise en abîme qui donne le vertige (le tout dernier plan étant à cet égard plutôt cynique puisque les deux gardes changent simplement de chaine plutôt que de couper la télévision).
The Truman Show est donc un film essentiel pour notre époque. Un grand classique du cinéma et de la dystopie. Une mise en garde face à une société spectaculaire qui cherche à nous enfermer dans le factice et à nous rendre passif face à des gens se prenant pour des dieux et nous offrant un dérivatif sous forme de storytelling plutôt qu’une vérité qui nous libèrerait.