Il y a décidément de grands mystères qui resteront sans doute à jamais inexpliqués dans l'histoire de l'humanité: l'Univers a-t-il des limites ? Comment la vie humaine a-t-elle pu naître du néant ? Comment Cyril Hanouna réussit-il encore à réunir une si large audience ? Mais aujourd'hui, il y en a un, particulièrement, qui me turlupine: Comment ai-je pu me désintéresser si longtemps d'un chef-d'oeuvre tel que The Truman Show, dont on m'avait pourtant allègrement vanté les mérites ? Car oui, The Truman Show est un chef-d'oeuvre, et, en ce qui me concerne, même plus, une révélation. La révélation que Jim Carrey n'est pas systématiquement insupportable lorsqu'il apparaît à l'écran, la révélation que le talent de Peter Weir n'est pas né avec Master and Commander, son autre grand chef-d'oeuvre, la révélation qu'Aldous Huxley a trouvé un digne héritier en la personne d'Andrew Niccol (qui n'a pas toujours bénéficié de telles fulgurances).
Scénarisé par ce dernier, qui a déjà montré son attirance pour les thèmes du contrôle de la société ou du libre arbitre avec Bienvenue à Gattaca, le film de Peter Weir propose une nouvelle réflexion sur le caractère étouffant de nos sociétés modernes ou sur la mégalomanie de l’homme actuel. Réflexion très pertinente, portée par un Jim Carrey plutôt inspiré, qui réussit presque à se débarrasser de ses mimiques insupportables qui font de la plupart des comédies où il joue un parcours du combattant difficile à franchir. S’il grimace encore un peu, il parvient souvent à trouver le ton juste qui fait de son personnage un être désemparé, confronté à un monde étrange face auquel il n’a aucune clé de compréhension. Mais la prestation de Jim Carrey ne doit pas en camoufler une autre au moins aussi impressionnante, sinon plus.
En effet, Ed Harris nous livre ici le meilleur de lui-même pour composer le personnage de Christof, symbole parfait de l’homme qui se croit Dieu (un Christ, mais "un Christ off,annihilé, débranché ?", comme l'interprète de manière pertinente Laurent Dandrieu, dans son Dictionnaire passionné du cinéma). Il parvient à créer une réelle ambiguïté qui permet de poser toutes les bases de la problématique du film, avec tous les échos que cela comporte, peut-être à 1984, mais surtout au Meilleur des mondes. En effet, on y retrouve la même tension entre deux visions du monde : celle d’un monde sûr, où il fait bon vivre, mais où l’on est privé de toute liberté, et celle d’un monde noir, mensonger et dangereux, où le bonheur n’est pas sûr, mais où l’homme vit libre. Réflexion intelligente brillamment mise en scène par Peter Weir, qui parvient à nous faire saisir toute la complexité du paradoxe, et à nous offrir une dénonciation incroyablement pertinente de la superficialité de notre monde actuel, un monde où tout n’est que façade et où la publicité, l’argent et l’hypocrisie règnent en maîtres. Vision glaçante, mais malheureusement trop réaliste de notre monde, pour qu’on puisse se permettre de l’ignorer.