Il y a des voyages qui ne finissent jamais et d’autres qui ne commencent pas. Morrisa Maltz articule son récit en y injectant ces deux idées, qui peuvent parfaitement cohabiter dans un élan de courtoisie, pourvu que l’on croît fortement en la bienveillance de son prochain. Pour cela, elle habille un road-movie, où viendront se greffer d’authentiques témoignages et autres anecdotes qui font basculer des modes de vie dans une générosité singulière. La traversée d’un pays dévoile ainsi des visages différents, en passant d’un état à l’autre, d’une communauté à une autre. C’est un parcours parsemé de hasard et de relations éphémères que va capter la réalisatrice, où son héroïne en sera la principale ambassadrice pour réunir toutes les émotions qu’elle aura pu prendre en auto-stop.
Cela pourrait démarrer sous les traits d’une fuite, mais il s’agit bien qu’une quête sur soi. Un voyage spirituel attend Tana (Lily Gladstone), parti précipitamment de son Minnesota natal vers le Taxes, dans l’idée de faire le point sur ses pertes et potentiellement ce qui lui reste pour cet avenir si ambigu. On y sent un décalage avec l’époque dans lequel ces personnes vivent. La radio mute en permanence, en réactualisant des promesses et en entrainant des illusions sur lesquelles Tana et ses rencontres ne peuvent s’y reposer. Ces enjeux sociétaux ne parviennent pas jusque dans ces bulles de vie, où l’on a déjà ses fléaux à affronter au quotidien et souvent chez soi. Mais le message reste optimiste, à l’image d’une restauratrice qui transmet la reconnaissance d’un de ses clients en une tendresse universelle, ou encore d’une jeune mère qui a catalysé toute l’anxiété de sa situation sociale et familiale, afin d’aspirer au bonheur, acté dans les enceintes même de l’Église.
À la frontière de la fiction et du documentaire, le spectateur peut recomposer les objectifs du mystérieux voyage de l’héroïne, mutilé par un deuil qu’elle doit dépasser. Ce voyage en est la conséquence nécessaire, qui la ramènera vers ses racines de native américaine, où l’on pourra découvrir le confort d’une bonne soupe chez les Oglalas. Un passage à Dallas au sein d’un groupe de jeunes et de vieux, qui ne cessent de danser pour prolonger leur espérance de vie. C’est également au détour de quelques cigarettes échangées que la comédienne finit par disparaître derrière son personnage. On n’y voit plus que le reste, le décor réel des lieux, la spontanéité, ou presque, de ces derniers. Elle observe en silence, tout comme la caméra de la cinéaste, qui prend ses distances, juste assez pour qu’on ne manque pas le bon coucher de soleil et un paysage qui transfigure la perte d’identité, d’une nation qui regorge de cultures en tout genre.
Le film porte un regard à plusieurs échelles, mais fatalement, tous se rejoignent dans ce petit monde qui cherche encore à se connaître et à connaître les individus qui peuplent nos voyages, les plus évasifs et les plus intrusifs. « The Unknown Country » file ainsi vers l’horizon, avec une mélancolie que l’on capitalise dans son personnage central, qui quitte peu à peu sa cage de solitude pour renouer avec ce monde qui ne fait que tendre les bras vers elle. Bien entendu, on cherche à nuancer cette approche, qui rappelle les premières réalisations de Chloé Zhao. On peut soit pleinement se laisser emporter par le conte qui se joue devant nous, soit embrasser cette légèreté du réel, qui est loin d’être aussi sinistre que l’ère post-Trump pourrait le laisser penser. Le bonheur est une initiative qu’il convient de libérer à l’aide de complices, qui ne sont pas toujours ceux que l’on croit être, d’où la multitude de gens qui finissent par s’ouvrir à tous, sans concession.