Le fil d’actu personnalisé, c’est bien. Comme on est pisté en continu, un tri se crée et des centres d’intérêt se dessinent. Google sait que les infos sur le sport m’indiffèrent, que le people est systématiquement gratifié d’un pouce vers le bas, et me propose une sélection presque flippante fondée sur les clics des sessions précédentes. Au point, que, parfois, je ne clique pas en pensant à l’avenir, craignant d’avoir des suggestions inadéquates, Big Brother considérant un petit flirt avec une actu locale (genre, au hasard la Bretagne) comme une déclaration d’appartenance qui va me voir honorer de chaque article à venir sur la galette complète.
Évidemment, le cinéma figure bien haut dans la sélection. Et donc, je tombe sur ce titre émanant du site web de Télérama : « L’un des meilleurs films de 2020 est sur Prime Video : “The Vast of Night”, une première œuvre déjà culte »
Damn. Télérama, l’abonnement de mes parents depuis un demi-siècle, une référence qui te fait directement penser que non, il ne s’agit pas d’un publi-reportage mais bien d’une critique.
Il faut croire que Télérama recrute désormais des Youtubeurs dans ses équipes. The Vast of Night n’est pas un film honteux, mais le titre proposé par l’hebdo culturel a tout de la surenchère coutumière visant à justifier encore l’existence des prescripteurs culturels.
Il faut bien reconnaître que le film cumule les petites accroches dont sont friands les journalistes : un premier essai, donc, un adoubement (Steven Soderbergh visiblement, qui fut un jeune prodige en son temps et tente désormais de se rappeler au bon souvenir des spectateurs en apparaissant dans l’orbite de la nouvelle garde, comme le font les stars du rock (#LiamGallagher)), un parti pris (le temps réel), un genre (la SF) doublé d'un autre parti pris, celui de transformer l’absence de budget en choix artistique.
Petite chose un peu anodine, The Vast of the Night joue donc la carte résolument modeste d’un épisode de la Quatrième dimension, avec paranoïa des années 50 sur l’invasion soviétique alliée à une possible visite extraterrestre. Si le chemin est balisé, les éléments attendus (les témoignages, les indices, le jeu consistant à différer le plus possible la confrontation ou non au surnaturel), certains éléments valent qu’on s’y attarde. Toute la thématique de la radio et la communication téléphonique donnent ainsi un premier rôle à la voix et au récit parlé, allant jusqu’à oser certains plans noirs effaçant l’image au profit du primat de la parole. Un enjeu culotté dans un monde gavé de signes, qui rappelle un peu les expériences de The Guilty, lui aussi un premier film, et qui exploite avec intelligence la dimension vintage d’une histoire qui, sans cette idée, s’en tiendrait à du réchauffé sans surprise.
Reste à déterminer ce qui justifierait qu’on fasse de ce récit un film plutôt qu’un podcast audio (qui serait sûrement très bon, par ailleurs). Une certaine aisance visuelle, un joli rythme dans les plans-séquence initiaux de walk & talk, une exploitation de la nuit et de la durée en cheville avec les ressorts de la tension, la liste est tout de même fournie pour reconnaître des qualités.
Après, l’un des meilleurs films de 2020 ? Si l’offre fut certes réduite par la situation sanitaire, il faut raison garder. Quant au culte, il se mesure généralement sur la durée. Autant d’éléments qui font défaut à ce titre putassier, qui recherche aussi laborieusement que ce film à générer un frisson qui reste aux abonnés absents.