Spike Lee dans toute sa splendeur, mais fort d'une certaine liberté artistique due au rayonnement que j'imagine limité d'un tel film. "The Very Black Show" ou "Bamboozled" en version originale (c'est-à-dire embobiné, un terme qu'utilisait Denzel Washington dans "Malcolm X" en 1992) est de manière très franche un pamphlet qui entend dénoncer la représentation des Noirs dans les médias américains : pour ce faire, Spike Lee met en scène l'histoire d'un réalisateur de show au bord du gouffre, qui entend proposer un projet outrancièrement raciste pour se faire licencier alors qu'il résultera en une acceptation totale de la part de ses supérieurs — et des spectateurs. L'idée : remettre au goût du jour les spectacle de minstrel, ces émissions parodiques et racistes qui présentaient des acteurs blancs grimés en noirs (pendant très longtemps) incarnant des caricatures d'afro-américains, toujours ignorants, stupides, mais invariablement joyeux et doués pour la danse et la musique.
Sur le papier, l'idée est plutôt originale et paraît sensée. Mais en pratique, Spike Lee se fend d'une œuvre particulièrement disgracieuse, incroyablement confuse et approximative, avec une image laide et un jeu constamment sur l'hystérie, s'étirant démesurément sur plus de deux heures. Des prémices intéressantes autour du stéréotype (est-ce forcément scandaleux, faut-il nécessairement le rejeter ou le réinventer pour le détruire de l'intérieur ?), il en arrive à une sorte de téléfilm informe filmé à la caméra numérique de la plus horrible des manières. Spike Lee semble lui-même pas tout à fait convaincu de son projet puisqu'il se sent obligé de nous livrer une compilation d'extraits de films issus du cinéma américain classique (muet essentiellement), du côté de Griffith ou Fleming, montrant des acteurs noirs enfermés dans leur caricature, dans le but de dresser une certaine continuité avec notre contemporanéité.
Le geste n'est pas dénué de sens bien sûr, mais il est terriblement maladroit au même titre que le protagoniste et son show sur lequel il perd toute emprise. La dénonciation de la banalisation du racisme (avec des acteurs noirs qui seraient en train de s'auto-mutiler sans le savoir dans ce show dégradant) ne s'en trouve pas grandie. Les médias complices de cette aliénation et la caricature des rappeurs ravisseurs ne rehaussent pas le niveau : comme souvent, le recours à la caricature pour dénoncer une autre caricature n'apparaît pas comme la proposition la plus sensée qui soit.