The Way Back (Gavin O’Connor, U.S.A, 2020, 1h48)

Cela fait bien longtemps que je ne cache plus ma sympathie pour Ben Affleck, un comédien trop souvent sous-estimé, qui il est vrai a parfois fait des choix de carrière douteux, capitalisant avec difficulté sur ses succès, mais toujours très investis dans ses rôles. Avec le recul il apparaît même très nettement comme l’un des plus grands acteurs de sa génération.


Depuis son avènement en tant que réalisateur pris au sérieux, avec ‘’Argo’’, qui remonte déjà à 2012, puis son rôle dans le succès critique et public ‘’Gone Girl’’ de David Fincher en 2014, il rencontre depuis un peu de peine à retrouver les sphères du succès. En faute son implication dans le DC Universe de Warner Bros., et les échecs consécutifs de ‘’Batman v Superman’’ et ‘’Suicide Squad’’ en 2016, et du pitoyable ‘’Justice League’’ en 2017. Expérience en coup manqué qui l’éloignent des plateaux durant deux ans, et une cure de désintox’.


Luttant depuis des années contre l’alcool et ses démons, le ‘’Batfleck Bashing’’ semble l’avoir particulièrement affecté. Totalement gratuit et injustifié, la situation proprement hallucinante l’a vu s’enfoncer lentement vers une dépression dont il ressort à peine. Il faut savoir qu’après ‘’Justice League’’ il était prévu qu’il produise, scénarise, réalise et interprète ‘’The Batman’’. Avec l’équipe technique qui l’accompagne depuis ‘’Gone Baby Gone’’ en 2007.


Ben Affleck est ce qui pouvait arriver de mieux à Batman sur grand écran. Déjà il campait un Bruce Wayne des plus convaincants, plus âgé et affecté par la désillusion, doutant sévèrement de sa capacité à faire régner l’ordre et la justice dans une Gotham en proie au pire. Il y avait là une nouvelle piste à explorer. Au final nous auront le droit à un Batman plus jeune, dans l’inquiétant ‘’The Batman’’ réalisé par Matt Reeves, un technicien/Yes man sans personnalité.


L’acharnement de la communauté Batmanophile envers Ben Affleck ne semble dû qu’à une réputation qui le précède. Car, vous regarderez par vous-même si vous en avez le courage, il est un putain de Batman. Cette digression permet de saisir un peu l’état d’esprit dans lequel se trouve Ben Affleck depuis quelques années. Le fameux ‘’Sadman’’ dont la carrière a connu un cran d’arrêt assez brutale, et injuste.


Après un ‘’Triple Frontier’’ anecdotique pour Netflix, et une apparition en guest dans le médiocre ‘’Jay and Silent Bob Reboot, Ben Affleck revient avec ‘’The Way Back’’, du cinéma indépendant semblable à celui qui l’a vu débuter. Et le film sied à merveille a son talent, au point qu’il vient rappeler, à ceux qui en douterais encore, qu’il sait jouer la comédie.


Apparait à l’écran un Ben Affleck abîmé et bouffie, incarnant Jack, un ouvrier du bâtiment dépressif et alcoolique, qui partage sa vie entre son boulot, son bar, les bières de son frigo, et celles dans sa douche. C’est un type au bout du rouleau, complètement sur la corde raide, dont l’attitude ressemble à s’y méprendre à un suicide lent et progressif, de la part d’un homme qui n’a plus rien à attendre de l’existence.


Rapidement le parallèle se fait entre ce que le comédien traverse depuis deux ans, et ce personnage qu’il fait plus qu’habiter. Il l’incarne au-delà même de tout jeu, comme touché par la grâce. Prenant tout le temps nécessaire pour présenter Jack aux spectateur.rices, le métrage de Gavin O’Connor dépeint un quotidien morose et tragique, auquel fait face ce type qui se fout lentement en l’air, et pour lequel il est impossible de ne pas ressentir un minimum d’empathie.


Agissant comme un ours avec ses proches, refusant de s’ouvrir à eux, déniant le fait d’avoir un problème, qui ne fait pourtant aucun doute pour personne, Jack poursuit seul sa lente et inexorable chute, jusqu’au jour où il reçoit un appel de son ancien lycée. Le directeur, un prêtre catholique, lui propose de prendre en charge l’entraînement de l’équipe de basket de l’établissement. Jack fût en effet une gloire du basket dans sa jeunesse. C’est là l’une des nombreuses révélations qui jonchent au compte-goutte un récit particulièrement bien construit.


‘’The Way Back’’, tout réside dans le titre, aurait pu être la banale histoire de rédemption, du type ‘’edgy’’ retrouvant un goût soudain pour la vie, pour filer tout droit vers un happy-end téléphoné. Mais que nenni. À aucun moment le film ne tombe dans le moindre écueil d’un genre pourtant parfaitement codifié. Le Drame Sportif à Hollywood c’est un grand classique de la production. Il est possible de trouver des dizaines, et des dizaines de métrages sur le basket.


Jack n’est pas cliché, et les jeunes joueurs de l’équipe non plus, et c’est là l’une des plus grandes réussites du film. Généralement quand il y a des ados et une équipe de basket, on peut être certain de se bouffer tous les clichés les plus convenus. Ici ça n’est pas le cas. Ce n’est d’ailleurs le cas pour aucun personnage.


Si le poste de coach qu’il accepte lui remet un pied dans la vie sociale, au contact des jeunes, pour lesquels il développe une véritable bienveillance, ce n’est pourtant pas par rapport à cela qu’il évolue. Le ‘’The Way Back’’ du titre est en effet bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il convoque tout un parcours qui se construit pas à pas, par lequel Jack entrevoit l’amélioration de sa condition. Son rôle dans l’équipe du lycée n’est qu’un élément parmi tant d’autres.


Alors bien entendu cette expérience influe grandement sur son quotidien, et le film prend comme trame principal la saison sportive du club, et son parcours de qualification pour les play-off. Ce qui promet son lot de séquences fortes en émotion. ‘’The Way Back’’ n’est pas une œuvre misérabiliste enfonçant son personnage au point d’en étouffer le spectateur.rice par un ensemble dépressif, noir, manquant de facteur humain. Tout au contraire.


Gavin O’Connor présente ses personnages du point de vue du cœur. On rit, on pleure, on frissonne, on vit l’expérience avec Jack, et non juste en le regardant. Il y a une véritable immersion, transcendée par l’interprétation prodigieuse d’un Ben Affleck qui trouve ici le rôle d’une vie. Faillible, faible, asphyxié par une existence qui n’a plus rien à lui apporter, Jack est d’une humanité confondante. Et lorsque le lien se fait avec la vie de son interprète, l’œuvre prend tout de suite une autre dimension.


Comme une sorte de parcours initiatique d’un type brisé, arrivé à la moitié de sa vie, sans aucune envie d’en vivre la seconde partie, ‘’The Way Back’’ est plus qu’un simple drame sportif. Le basket prenant finalement une proportion des plus secondaires. C’est la chronique du quotidien d’un homme qui ne croit plus en rien, un homme qui n’a plus rien et qui n’attend plus rien. Mais par un sursaut instinctif parvient à prendre une décision capable de relancer son existence, avec la promesse d’autres expériences à vivre.


C’est par la seule force de sa volonté qu’il parvient à redresser la tête, menant de front plusieurs combats, dont l’alcool est une conséquence et non une cause. Il subit une cellule familiale qui ne sait pas comment réagir, une ex-femme pour qui il éprouve encore clairement des sentiments, et cette addiction qui le rend minable, et dangereux pour lui-même.


Étonnement critique envers la religion, tout une sous intrigue tourne autour du fait que Jack est trop vulgaire pour le père qui patronne l’équipe. Une sorte de running gag qui parcours tout le récit. Mais au-delà ce qui est moqué c’est cette idée de ‘’rédemption’’, chère à la culture chrétienne sur laquelle s’est fondée la société Amérique, au point de l’élever en art de vivre.


Or, dans ‘’The Way Back’’ cette valeur n’existe pas. Il n’existe pas de remède miracle au mal être. La dépression, le chagrin ou le traumatisme, ça ne se soigne pas comme par magie avec l’intervention d’une foi en un Dieu parmi tant d’autres. Le mal que se traine Jack ne peut se défaire que s‘il fait face à ses problèmes. Là est la clé de la guérison, reconnaître et accepter, pour avancer.


Embauché pour ses qualités de basketteur, il en vient à déranger une institution chrétienne qui refuse de l’accepter pour ce qu’il est, et même de l’aider face à ses problèmes. Au contraire, elle l’enfonce davantage, au point que pour se faire accepter il devrait devenir une personne qu’il n’est pas. S’aseptiser pour correspondre aux carcans d’une tradition dépassée répondant à des caractéristiques d’un autre temps.


Jack n’est pas un rebelle, Jack ne se dresse contre aucun dogme, Jack se fiche de l’idéologie. Son truc c’est le basket, et il retrouve goût à sa passion en devenant coach. Mais au-delà des entrainements et des matchs, il reste jack. Soit un mec cassé, qui pour soigner une blessure plus profonde que que quiconque ne peut l’imaginer, n’a trouvé que l’alcool.


‘’The Way Back’’ c’est un très grand film, et la preuve indéniable que Ben Affleck est l’un des meilleurs acteurs actuellement en activité, c’est une histoire humaine épurée de toutes fioritures hollywoodiennes. Une œuvre forte d’un grand humanisme, dégagée de tout manichéisme, parfois dramatique, parfois drôle, mais toujours touchante.


Un peu à l’image de la vie quoi.


-Stork._

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le 27 mars 2020

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