Into the Woods.
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le 20 juin 2016
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En janvier 2015, le premier film de Robert Eggers, intitulé The Witch est présenté au festival de Sundance et parvient même à remporter le prix de la mise en scène. Avec Ari Aster, créateur des merveilles que sont Hérédité (2018) et Midsommar (2019), Eggers est aujourd’hui considéré comme l’un des réalisateurs les plus intéressants du cinéma d’horreur actuel. Seulement, si les jurys, ainsi que ceux qui l’ont découvert lors des festivals, ont été dithyrambiques, les avis furent davantage mitigés lorsque The Witch sortit en salle. Le film, jouant particulièrement la carte de l’anti-spectaculaire, se veut effectivement comme une expérience opposée à tous les films d’épouvante actuels multipliant les jumpscares au détriment de l’ambiance générale.
Dans la Nouvelle-Angleterre du XVIIe siècle, après avoir été chassé de la société, William emmène sa famille vivre dans une ferme en marge de la civilisation. Très vite, cette ferme, perdue au milieu des bois, va se révéler être le théâtre de faits étranges et d’actes épouvantables. Entre disparitions, chasse aux sorcières et paranoïa, la famille de Wiliam s’apprête à vivre un véritable enfer, alors qu’aucune aide extérieure n’est envisageable.
Si le film de Eggers délaisse l’omniprésence d’effets horrifiques spontanés et disparates, c’est justement au profit d’une ambiance générale véritablement froide, malsaine, épousant alors le point de vue de ses personnages, tant dans la forme que dans le fond. Car le film nous plonge dans une période de l’histoire durant laquelle la peur des êtres maléfiques que l’on appelait « sorcières » prédominait, et le seul rempart que l’on pouvait ériger contre cela, c’était la foi. Ainsi, The Witch se veut comme le témoin de l’état d’esprit dans lequel baignait la Nouvelle-Angleterre de l’époque. Cela passe par la photographie, froide et grise, les choix de cadrage, donnant parfois l’impression que la caméra s’est perdue au milieu des branches, ou encore la musique, faite de violons et de ce qui semble être des cornemuses, comme pour achever de plonger le spectateur dans l’atmosphère de l’époque. A noter aussi un incroyable travail sur le sound design, notamment lorsqu’il s’agit d’augmenter l’intensité de la musique, ainsi que l’utilisation du format 1.66 :1, un format peu utilisé dans les films d’horreur actuels, donnant l’impression que notre champ de vision sur cette sinistre forêt est réduit. Tout est fait pour créer un aspect anxiogène au sein du long-métrage.
Formellement, The Witch est donc une grande réussite. Or, c’est plutôt dans son déroulement du récit que le film n’a pas su convaincre certains spectateurs. Il y a, au final, très peu de moments qui ont pour but de créer de la véritable peur, et la sorcière du titre ne se montre que très rarement. Et si, au fur et à mesure que le long-métrage avance, l’impression que le film ne va jamais démarrer prédomine, on se rend vite compte que c’est le genre d’effet que Eggers souhaitait distiller. La ferme de la famille de William est entourée par la mort, par la non-fertilité, comme si elle était la victime d’une malédiction : les plantes ne poussent pas, le bébé qui vient de naître a disparu, il y a peu d’animaux à chasser, les chèvres ne donnent pas de lait, mais du sang, etc… Tout cela pousse le spectateur à être dans l’expectative vis-à-vis de celui, ou celle, qui aurait instauré cette malédiction. A la manière de William lui-même, qui ne semble vivre que par le prisme purement binaire de sa religion (il y a Dieu, et le Diable), nous sommes nous-mêmes amenés à voir le Mal partout, comme si nous étions plongés dans une partie de loups-garous grandeur nature, et qu’il s’agissait de trouver le coupable. Pour ma part, je misais tout sur la tête des jumeaux, qui se comportaient comme de vrais diablotins, alors qu’il s’agissait simplement de deux gamins pourris-gâtés.
Au cœur de cette pure chasse aux sorcières, Thomasin, l’aînée de la famille, interprétée par une Anya Taylor-Joy parfaite, voguant entre calme et hystérie, se retrouve comme piégée par la paranoïa de ses parents, qui rappellent sans cesse à leurs enfants qu’ils sont nés dans le péché. William, interprété par Ralph Ineson, ne désespère pas de voir sa ferme prospérer, et même lorsque ses fils disparaissent, il préfère croire qu’il s’agit là de la bonne volonté de Dieu ; quant à sa femme, Katherine, interprétée par Kate Dickie, adopte une démarche bien plus rationnelle, persuadée qu’elle est que la ferme dans laquelle ils se sont installés aura leur peau. Ce manque de cohésion et de confiance amènera le couple à une véritable destruction, et à une méfiance générale presque palpable au sein de la famille. Le moindre élément suspect déclenchera en eux, comme en nous, spectateurs, une certaine méfiance, qu’il s’agisse de paroles spécifiques qu’auraient pu lancer certains protagonistes, ou simplement d’un lapin qui parviendrait à s’en sortir, un peu trop souvent, face à une mort certaine.
A terme, le film laisse le choix au spectateur de se faire sa propre interprétation quant à l’existence de la sorcière de la forêt. Y a-t-il véritablement une sorcière, ou est-ce simplement dû au fait que les protagonistes tombent peu à peu dans la folie ? Et si sorcière il y a, est-ce une personne extérieure à la famille, ou serait-ce un membre de celle-ci ? Chacun se fera son propre avis. Toujours est-il que les films d’horreur actuels laissant une véritable liberté d’interprétation, et amenant leur récit jusqu’à leur paroxysme avec un jusqu’au boutisme impressionnant, se font suffisamment rares pour que l’on puisse se permettre de se jeter dessus sans hésiter. Car si The Witch peut difficilement être qualifié de montagne russe en terme d’épouvante, il n’en demeure pas moins un film hypnotisant, sensoriel et parfaitement abouti visuellement. Un petit bijou du cinéma d’horreur qui permettra au spectateur de plonger dans l’ambiance froide et paranoïaque propre à cette époque.
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Créée
le 12 janv. 2021
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