Il aura fallu que Mickey Rourke attende d’être physiquement détruit pour qu’enfin on lui propose le rôle de sa vie. Dans The Wrestler, le playboy sexy de 9 Semaines ½ est presque méconnaissable tant son visage semble gonfler dans tous les sens, pourtant c’est dans ce film qu’il arrive enfin a toucher plus le spectateur que le corps de Kim Basinger.
Qu’il est en effet touchant, ce grand gorille défiguré, brûlé aux U.V, qui refuse obstinément de mettre un terme à sa carrière de catcheur. Pourtant, il n’en vit plus vraiment comme en ses temps de gloire et de célébrité. Le voilà réduit aux petits combats dans des gymnases et obligé de travailler dans une grande surface pour parvenir à vivre. On sent immédiatement qu’il est un homme qui a sacrifié pour le catch tout ce que la vie avait à lui offrir. Il vit seul, sans femme ni enfant, dans un mobil-home quand tout va bien, dans son van quand tout va un peu moins bien. Il a détruit son corps à grand renfort de séances intensives de bronzage artificiel et de prise exubérante de dopants plus ou moins légaux.
Mais il combat encore, pour son plus grand bonheur et celui de ses plus anciens fans, du moins jusqu’à ce que son corps montre que des limites physiques existent. C’est à ce moment-là que Randy découvre sa solitude, celle d’une vie qui n’existe pas en-dehors de ses combats, celle d’un désert matériel et affectif. Mickey Rourke inonde alors de talent et nous pousse à l’émotion, car il est impossible de résister au paradoxe de ce grand gaillard, si rempli de muscles et qui apparaît tout d’un coup si faible, si fragile ,qui lutte pour retrouver cette vie qui aurait pu être la sienne et qu’il a ignorée. Il y a sa fille avec qui il a tant de mal à communiquer, il y a cette strip-teaseuse avec laquelle il vit un amour réciproque. Interprétée par une Marisa Tomei, débordante de charme et de douceur, elle est ce réconfort que Randy recherche, dans un monde qui commence à lui échapper.
On sent, on sait très vite que la fin est inéluctable et que Randy ne pourra en aucune manière y échapper, sa vie est sur le ring et devra s'y achever. C’est d’autant plus émouvant de voir Mickey Rourke se débattre pour sauver cette autre vie rêvée, celle qu'il voudrait avec sa fille et cette femme aimée, quand on a compris que toutes ses tentatives sont vaines et vouées à l'échec. La frontière entre le film et la carrière de boxeur vieillissant que Mickey Rourke était dans les années 90 est ténue, on sent qu’à travers The Wrestler, l’acteur fait un bilan et porte un témoignage sur une période de sa vie qui lui rapportera de l’argent, mais lui coûtera son visage, sa si belle gueule.
Car il faut être clair, le catch ne sort pas grandi de ce film, sport sadomasochiste et par moments presque sadique, il détruit les corps et les esprits qui acceptent une mise à mort d’une part d’eux-même pour apporter du pain à la plèbe. Il ne semble pas y avoir de règle autre que celle du spectacle qui exige que l’on fasse toujours plus dans l’écœurant. Le déguisement, le grimage et l’apparence comptent tout autant qu’une musculature naturellement impossible. Il y a ce combat sur un ring entouré de barbelés, avec des combattants jouant avec un pistolet à agrafes, qui n’est pas à mettre devant tous les yeux. On découvre en revanche qu’il ne semble pas y avoir de dose de bêtise létale pour les organisateurs de ces combats. Les combattants finissent sur le carreau au sens propre comme au figuré.
The Wrestler est le film d’un combat, celui de Mickey Rourke avec sa carrière, celui aussi de Randy contre lui-même et contre sa fille. The Wrestler est la chronique des illusions perdues, la mise à mort de l’american dream, ce rêve qui n’empêche en rien de passer un jour, du sommet, directement aux catacombes de l’oubli. The Wrestler est un cocktail perturbant d’émotions, qui vont d’une empathie certaine envers Randy, jusqu’à la colère que l’on ressent lorsqu’il gâche le peu de bonheur auquel il pouvait encore se raccrocher et nous laisse, perdus, dans les larmes de tristesse qu’il fait couler de nos yeux.