J’adore James Gray.
Je n’en étais pas totalement sûr après avoir vu We own the night et Two lovers, que j’avais tout de même beaucoup aimés, mais avec The Yards, j’en ai la certitude.
Déjà, ce premier plan. Sans avoir lu aucun synopsis, sans avoir vu aucune bande annonce, il est possible de comprendre et de connaître le personnage de Marky Mark avec ce plan uniquement. Une sorte de vue subjective de l’arrière du métro, sortant d’un tunnel, passant de l’ombre à la lumière. Avec la symbolique des rails imageant la ligne du destin, on comprend tout de suite qu’il va s’agir d’un personnage sortant d’une mauvaise passe et qui va tenter de se racheter, ou en tout cas, de se tenir à l’écart des problèmes.
Du génie. Et c’est un truc récurrent chez lui, l’importance du début et de la fin, notamment grâce à des plans symboliques. Il a un vrai sens de l’introduction et de la conclusion du récit, du coup, je n’ai jamais été frustré devant ses films. C’est une vraie qualité pour moi, étant donné que je n’aime pratiquement que les histoires finies, sans 14 saisons à suivre, ce qui explique mon problème avec les séries. Après, ça ne veut pas dire qu’il ne laisse pas de place à la réflexion.
Justement, un plan similaire à celui du début est utilisé à la fin. Même mouvement de caméra, à ceci près que l'on ne sort pas du tunnel mais qu'un métro se dirige en sens inverse, sur les rails d'à côté. Alors OK, c’est un gros spoil pour ceux n’ayant pas vu le film, mais on comprend encore une fois tous les enjeux, tout ce que ça représente pour le personnage principal, et le tout, très subtilement. Un plan qui finalement, en dit long: même si dorénavant, il est clean, il a perdu tout ce qui l’a fait sortir de prison, tous ceux qui l’attendaient chez lui. Concrètement, à ce prix, est-ce vraiment une victoire? Heureusement, s'en suit un gros plan sur le visage de Marky Mark pour assurer la compréhension des sentiments ressentis.
Parce que l’environnement proche, la famille, les amis, c’est super important dans ses films. C’est souvent la source de motivation première de ses personnages. Aider sa mère malade, remettre un membre de la famille dans le droit chemin, vouloir faire plaisir à sa famille avec un mariage arrangé... Au delà de ça, chez Gray, les proches sont à la fois ce qui animent mais aussi ce qui peuvent détruire les personnages. Ils sont à la fois cause et conséquence. Les liens qu’ils entretiennent sont forts et ce sont ces liens qui vont dicter la situation mentale, le bien être ou non, du personnage principal mais également pour la famille entière. La notion d’unité à une vraie signification.
Une unité pouvant s’expliquer par un milieu sociale modeste, ayant rôle consistant dans le contexte et les fondements des personnages, où la vie n’est pas facile tous les jours et surtout où l’illégalité apparaît comme la réponse logique à la résolutions des maux, surtout lorsqu’on à une mère (pour The Yards) ou une soeur (pour The Immigrant) dans le besoin, par exemple. C’est cette condition sociale qui réunit les personnages autour des valeurs, traditionnelles ou non, et qui les rapproche, les poussant à s’entraider. La localité des lieux où l’action prend place rend ses histoires très intimistes, où il y une vraie proximité avec les habitants.
Du coup, l’identification est vraiment facile. On se sent chez eux comme chez nous. On a des facilités à comprendre ce qui les unit, nous aidant donc à expliquer et relativiser certains choix pouvant être jugés amoraux.
Provenant lui même de ce genre de milieu (Little Odessa pour être précis, qui sera le lieu ou se déroule l’action et le titre de son premier film), la modestie et la simplicité de sa mise en scène en devient compréhensible, limite logique, tout en étant parfaitement maîtrisée. Le monsieur n’en fait jamais trop, ne se lance pas dans des mouvements de caméra dingues, ne va pas chercher les artifices qui font bien. Il veut simplement raconter son histoire, sans jouer le sophistiqué, et en restant accessible aux personnes qu’ils montrent dans ses films par exemple. Pas du tout élitiste pour un sou.
Et pourtant, il a un vrai savoir-faire dingue dans le domaine. C’est un cinéma axé sur les personnages donc beaucoup de plans rapprochés, mais il sait justement quand s’en éloigner pour montrer un déchirement dans leur relation par exemple. Suffit aussi de voir son utilisation du cadre, du hors champ, et du plan symbolique. J’ai pleins d’exemples dans la tête, mais je pense notamment aux plans de rails de métro cités plus haut, mais aussi à la scène où Marky Mark doit “terminer” le gars à l’hôpital, ou même au dernier plan de The Immigrant que j’ai vu il y a peu. Tout ça pour dire que “simplicité” est une qualité ici, ça ne veut pas du tout dire “simple” ou “vide”. Gray sait fait naître l’émotion clé au moment précis. Il sait mettre en image une scène avec justesse et cohérence. Il en finit par combler tout type de public. Même dans son utilisation discrète de la musique, jamais dans l'excès, qui la fait d'autant plus ressortir puisqu'elle sait se faire rare. Sa présence est toujours la bienvenue puisqu'elle est dosée.
Le film est tellement représentatif de son style que finalement, j’ai plus parlé de son cinéma en général que de The yards. Mais tout est valable ici, puissance 1000.
C’est son chef d’oeuvre.