Une vieille femme, mince et droite, déambule, sur les trois pattes que lui impose son âge, dans les ruines intérieures d’un ancien cinéma somptueux de Phnom Penh, Hemakcheat, désormais totalement investi par une foule de familles se logeant jusque dans les moindres recoins, parfois sans véritable séparation entre elles.
En six minutes dénuées de toute parole, et à travers cet unique lieu, Davy Chou dresse un portrait saisissant de l’un des aspects de la capitale du Cambodge, dans son état actuel. Né le 13 août 1983 à Fontenay-aux-Roses, le cinéaste franco-cambodgien est pétri de culture française et européenne. Ce qui n’exclut en rien une extension mondiale. Si cette façon de filmer une profonde misère et de la rendre belle, en sa noirceur même, fait irrésistiblement penser à l’immense voisin chinois, Wang Bing, on ne peut se défendre du sentiment de voir transposé au cinéma le goût d’Hubert Robert pour les ruines, dans un chromatisme et un clair-obscur qui seraient ceux de Rembrandt. Dès les premières secondes, l’œil est saisi, fasciné.
Soudain, de ce silence tout juste effleuré par le bruissement lointain de la ville, s’élève un chant. Montant de l’un des écrans qui miroitent au fond de ces abris de fortune ? On ne le saura pas. Mais c’est une présence littéraire qui s’impose alors, et l’on croit entendre enfin, véritablement, l’écho de la mendiante dont la chanson traverse nombre de romans de Marguerite Duras.
Rarement court-métrage, si authentiquement « court », et non verbal, aura autant happé son spectateur, l’embarquant vers un espace-temps radicalement autre, mais où l’on aimerait continuer à glisser au rythme calme et continu de cette vieille dame, témoin muet d’un temps et d’un lieu qui se sont visiblement effondrés.