Paul Thomas Anderson, c'est un peu le fou de la classe qui a l'air complètement taré mais qui finit toujours par écrire des trucs hors-normes, qui certes manquent un peu de cadre et de maturité mais qui ne ressemblent à absolument rien d'autre. C'est justement cette imperfection, cette volonté d'un peu trop faire le prouveur qui a son charme, parce que ça donne un résultat unique avec une forme magistrale et un fond qui est quand même vachement travaillé.
Pareil pour Day-Lewis d'ailleurs, il cabotine à mort mais il fait ça tellement bien, c'est ce qu'il faut pour ce rôle, un gars qui dégouline de partout et qui incarne ce pays gras et rongé par sa prétention.
C'est typiquement le genre de films que j'adore en fait, une création originale, très bien réalisée et photographiée, avec un côté iconique et un message simple mais amené efficacement.
Déjà, le côté technique est fabuleux - le travail de caméra est remarquable, tout comme la photographie, les décors en extérieur sont parfaitement choisis tandis que la direction artistique et les costumes sont également excellents.
Mais surtout, j'ai vraiment été saisi par l'histoire. Déjà, je me suis beaucoup identifié au gamin. Ayant moi-même souffert d'un proche qui a privilégie sa soif de succès et de reconnaissance et qui de ce fait a délaissé tout le reste et été extrêmement destructeur, je ne peux qu'avoir été touché par le drame familial développé au sein de cette grande fresque.
Et puis c'est un film qui parvient à démonter le rêve illusoire et triste qui hante les États-Unis, pays qui pour combler son manque d'histoire a tout misé sur ce mythe du self-made man qui s'avère bien plus destructeur que créateur.
Il y a une opposition constante entre le côté très traditionnel et pieux de l'endroit où arrive Daniel, et son appât du gain (opposition ayant donné une affiche somptueuse au demeurant).
Daniel utilise son fils pour attirer la sympathie, l'abandonne dès qu'il le gêne dans son ascension, on ne sait jamais quand ses sentiments pour sa progéniture sont sincères ou non. Et puis, il prend les gens pour les cons, fait le beau parleur, mais enrage dès que quelqu'un utilise ce genre de techniques contre lui. Cet homme débarque au final rempli de pêchés et de tourments dans un lieu qui vivait en paix et dans la foi, et son personnage est tellement dévastateur qu'il arrive même à rendre le croyant imperturbable fou et à créer le doute en lui. Et la seule fois où lui fait un pas vers la religion, ce n'est que par intérêt, pour construire sa pitoyable pipeline.
Cependant, ce n'est pas simplement le cliché du gars méchant par essence, sans développement. On nous suggère parfois qu'il aurait eu un passé difficile, notamment au travers de ses relations familiales, et que c'est un homme qui a perdu foi en l'humanité et qui est donc le parfait colporteur de ce mythe ; il n'agit plus que pour lui, dans son intérêt. On sent une évolution, au début il a quelques soupçons de bienveillance et pense que le succès le rendra heureux, mais il finit par sombrer dans la rage, dans des obsessions maladives et est pourri de l'intérieur par ce qui l'animait pourtant au début. Son fils, qu'il pensait pouvoir jeter et reprendre à sa guise, finir par le rejeter, fonder son propre projet, et même se marier devant Dieu, devant ce symbole d'opposition aux valeurs de Daniel.
En bref, une superbe production au service d'une fresque bien ficelée et d'une histoire prenante, intéressante et efficace.