Un mix ébouriffant entre plusieurs trames puissamment évocatrices (la bossa nova, le plan Condor, le journalisme d'investigation) pour un film d'animation aux couleurs somptueuses, dont la bande son regorge de pépites d'époque et ressuscite la voix des légendes de la bossa nouvelle. Une vraie réussite, en somme. Le prétexte : l'enquête d'un journaliste américain fictif (belle voix de Jeff Goldblum) part sur les traces de Tenório, un pianiste remarquable dont la contribution unique au renouveau de la bossa a été cisaillé par la rencontre inopinée avec la sinistre dictature argentine de cette pourriture de Videla. Fauché par la barbarie un peu par hasard mais aussi parce que l'autoritarisme se nourrit de coups de force arbitraires, il a laissé à ceux qui l'ont connu de jolis regrets, à l'inverse du régime monstrueux qui favorisait l'expression du pire de l'espèce humaine. Et c'est tout l'intérêt de ce très beau film que d'opposer de manière éloquente la médiocrité mortifère d'une clique de pauvres taches à l'ébullition fertile de jeunes gens connectés à leur créativité folle, en état d'apesanteur permanente, déployant leurs ailes d'artistes dans un monde bousculé par la violence la plus démente. Evidemment, les premiers taxaient les seconds de dégénérés, et affichaient le plus intense mépris pour leur allure de gentils hippies. Porter les cheveux longs pouvait suffire à condamner un homme à la torture et sa famille à la douleur. Ces personnages troubles qui poussaient des innocents dans leurs voitures noires en pleine nuit sont autant d'énigmes insondables pour le reste de l'humanité. Comment diable peut-on en arriver à déshumaniser ses semblables au point de les transformer gratuitement en chair à pâtée ou de les jeter à la mer entravés depuis des hélicoptères ? Que craignaient-ils tant de la part de gentils poètes un peu largués ? J'imagine que c'est une chance que d'achopper sur ce genre de mystère. Toujours est-il que dans les temps de crise, notre choix est d'une limpidité de source : céder à la violence ou maintenir vivace notre créativité spontanée, synonyme de liberté et de vie, tout simplement. Tenório a eu le bonheur et la déveine à la fois d'appartenir à cette catégorie d'humains que la création artistique transcende mais aussi confronte à la vindicte des envieux, qui ne trouvent de soulagement à leur malheur que quand ils anéantissent l'image de cette félicité qui leur échappe. "La tristesse n'a pas de fin", comme dit la chanson, en portugais, mais la pulsion de vie non plus et ainsi, "la danse de la réalité", comme dirait Jodorowski, continue encore et encore jusqu'à ce que toutes les blessures soient enfin cicatrisées. Gageons que ce film de mémoire aidera, à sa façon, à maintenir vivante la veine musicale et créatrice d'une jeunesse parfois fauchée en plein essor par une certaine forme de bassesse.