Après le tournage difficile du Treizième guerrier, John McTiernan est contacté par Pierce Brosnan, en tant que producteur, pour réaliser le remake de L’affaire Thomas Crown. Mis en scène par Norman Jewison, l’original est principalement connu pour son utilisation excessive du split screen. De prime abord, le remake semble peu ambitieux, mais il serait regrettable de passer à côté de sa radicalité.


Que raconte alors Thomas Crown ? Plus encore qu’un vol de tableau, il montre la découverte des personnages de leur propre double. Ce qui passionne le cinéaste c’est d’organiser sa mise en scène autour du motif du dédoublement. Le récit dépeint d’ailleurs Thomas Crown qui s’amuse à reproduire ou remplacer le Monet volé.


Pour saisir cette ambition, une scène remarquable offre une démonstration de cette dynamique : Alors que Thomas Crown s’apprête à se diriger dans la salle impressionniste et rendre le tableau du peintre français, les policiers sont prêts à l’intercepter. Surveillé par les caméras, notre héros ne se démonte pas et laisse apparaître à l’image ses nombreux doubles. Les clones du personnage défilent dans le musée et sèment la discorde. La tenue qu’ils portent est similaire au modèle du fils de l’homme de Magritte. Ce stratagème permettra à Thomas Crown de passer inaperçu et ainsi réussir sa fuite.


Cette œuvre picturale est un choix judicieux de la part du cinéaste. En effet, lors d’un entretien, le peintre belge justifie son œuvre par le concept du double : « il y a donc le visage apparent, la pomme qui cache le visage caché et le visage du personnage. C'est une chose qui a lieu sans cesse. Chaque chose que nous voyons en cache une autre, nous désirons toujours voir ce qui est caché par ce que nous voyons. Il y a un intérêt pour ce qui est caché et que le visible ne nous montre pas. Cet intérêt peut prendre la forme d'un sentiment assez intense, une sorte de combat dirais-je, entre le visible caché et le visible apparent. ». Le fils de l’homme tient donc à présenter le visage humain décuplé et sans arrêt doublé par un autre. Par ailleurs, L’homme au chapeau melon est également très ressemblant et expose le même homme au chapeau melon, masqué par un oiseau au lieu d’une pomme.


La distinction et la complémentarité des êtres et de l’espace intéressent profondément McTiernan. C’est là que le film ménage, au-delà de sa construction scénaristique rigoureuse, une certaine singularité. Le cinéaste problématise l’adaptation des personnages à un espace donné. Le premier vol en est d’ailleurs le principal argument, puisque les voleurs bulgares utilisent de multiple subterfuges (le changement de température de la salle, se faire passer pour des employés), mais ne sont que le cheval de Troie permettant à notre héros de voler sans difficulté Saint-Georges-Majeur au crépuscule. Cette configuration avait été précédemment mise en évidence à grand trait dans Predator. Le personnage principal incarné par Arnold Schwarzenegger doit faire ressortir son état sauvage, afin de vaincre la maîtrise du Predator, qui a l’aptitude de se rendre invisible et de copier le langage de son adversaire.


Dans le cas de Thomas Crown, ce programme est d’autant plus renforcé par la précision du réalisateur qui organise subtilement son univers entre la verticalité de la ville de New-York et les lignes horizontales du musée d’art moderne. Cette verticalité est par ailleurs représentée par de nombreuses plongées totales ou obliques. Le premier plan de New-York surplombe la ville et prépare finalement le dernier plan du film, puisque cette fois-ci nous sommes du point de vue de nos héros, voyageant dans un avion au dessus de la mégalopole. On retrouve d’ailleurs cette perspective dans la représentation de Los Angeles et de New-York dans les deux Die Hard. Il en sera de même pour The Last Action Hero grâce à une distinction météorologique astucieuse, la représentation ensoleillée de Los Angeles s’oppose au temps pluvieux de New-York.


Le caractère exceptionnel de ce Thomas Crown réside plus encore dans sa capacité à rendre cette esthétique le moteur de son écriture. Il semble injuste d’intenter au cinéaste un procès en formalisme, puisque la mise en scène tient à accompagner une intrigue amoureuse. Bien que les fulgurances soient belles à regarder, elles ne manquent pas moins de profondeur. La scène d’amour entre Crown et Banning met en exergue de façon gracieuse l’éruption d’un amour naissant. Cependant, McTiernan échappe à l’érotisme publicitaire en filmant les corps comme des sculptures. C’est d’autant plus vrai lors de l’étreinte sur les escaliers, les corps sont dessinés par la lumière et nagent dans une forme d’apesanteur grâce à la plongée totale.


Finalement, McTiernan conjugue modestement un cahier des charges bien huilé et ses préoccupations de cinéaste. Même si le succès a pu être au rendez-vous aux Etats-Unis, la réception française fut timide. La critique a principalement reproché au long métrage la vacuité de son propos et son formalisme ridicule. Heureusement, la filmographie du cinéaste a eu un regain d’intérêt ces dernières années, grâce notamment à une rétrospective à la cinémathèque française en 2014.

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le 15 juin 2020

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Salim B

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