L’ahurissement produit par ce quatrième opus des aventures du dieu viking tient à l’alliance des deux puissances contenues dans son titre, soit l’amour d’une part, qui s’inscrit dans une relation tumultueuse parce qu’elle doit affronter les spectres du passé et composer avec les ombres du présent, et qui s’incarne dans un duo d’acteurs magnifiques ; et le tonnerre d’autre part, foudroiement guerrier et numérique qui ravit les yeux et les oreilles en proposant des combats titanesques.
Taika Waititi ose enfin dévoiler ses héros dans leur fragilité ; son long métrage se saisit d’ailleurs de l’antagoniste surnommé « Gore le boucher des dieux » comme d’une métaphore filée de ce mal qui ronge l’homme de l’intérieur, ici associé à la désillusion spirituelle et amoureuse, à la perte d’un enfant, à l’extermination d’une communauté ou à un cancer. Les personnages principaux apparaissent minés, rongés, tout à l’opposé du vide qui caractérise les fantoches auxquels nous a habitué Marvel/Disney depuis de nombreuses années. Et derrière les boutades, les clins d’œil peu subtils et le déhanché rock se cache une noirceur véritable qui dit quelque chose du mortel, quelle que soit sa condition (humaine ou divine), traduite à l’écran par une perte temporaire des couleurs. Dès lors, c’est parce que le noir et blanc a du sens que la couleur en revêt également : les jaillissements de rouge, de vert et de jaune fluo, la démesure visuelle accordée aux dimensions des espaces urbains ou de certaines créatures, raccordent la couleur à la vie, à une activité organique en adéquation avec l’attention portée aux personnages.
Aussi, Love and Thunder s’intéresse au point de vue des enfants, qu’il confronte à celui d’adultes meurtris ; il tire alors de ses images une fabrique du cauchemar terrifiante, pleine de visions fantomatiques et horrifiques – en cela bien plus réussies que les fantaisies balourdes d’un Sam Raimi dans Doctor Strange 2. Thor et Jane, de leur côté, interrogent leur engagement réciproque et leur capacité à fonder un foyer stable, qui évolue progressivement en une réflexion sur la paternité compliquée par une maternité impossible. Sérieux et maturité adviennent donc, et ne sont pas parasités par un pas de côté ironique. La séquence d’ultime affrontement, lorsqu’elle passe la porte pour placer ses personnages dans une forme de lévitation biblique sur l’eau, touche alors au sublime, cassée par un retour à la pantalonnade digne des sitcoms américaines.
Taika Waititi mêle les registres avec brio, rend hommage à la culture rock’n roll, au cinéma d’épouvante ainsi qu’à la comédie pure ; il commence par expliciter son statut de « suite » par des reprises plus bouffonnes encore – la mise en abyme théâtrale en est l’exemple le plus frappant, conviant même Melissa McCarty – allant jusqu’à transformer la ville en parc d’attractions, pour orchestrer des retournements tout à la fois ébouriffants et bouleversants. Un immense blockbuster.