En 2000, l’Occident émerveillé découvre le wu xia pian : la combinaison d’un exotisme frais et des dernières technologies en date au service des scènes de combats font de Tigre et dragon un carton international.
Le revoir 16 ans plus tard commence par étonner : ce qu’on avait retenu de lui, à savoir ses scènes maîtresses, n’occupe qu’un quart du film (mais mobilisa 80 % du tournage…). Le récit est en effet assez bavard, notamment lors d’une exposition interminable et des échanges à rallonge sur les enjeux sentimentaux qui lient ou déchirent les protagonistes.
Les questions traditionnelles occupent l’intrigue : le rapport entre maître et disciple, l’âpreté de l’initiation, l’ambition qui aveugle et la nécessité de juguler ses passions, au premier rang desquelles l’amour. L’intérêt d’une écriture au long cours réside dans l’ambivalence de Jiao Long, la splendide et volatile Zhang Ziyi : dévorée aussi bien par l’amour que la colère propre à sa jeunesse, le désir de surpasser les maitres et la reconnaissance progressive du respect qui leur est dû, elle accompagne le spectateur dans un parcours qui se soldera par la victoire du lyrisme le plus pathétique.
Si le rythme d’ensemble souffre d’une trop grande disparité, il s’organise tout de même sur un principe, celui de l’attente : les scènes de combat, semble-t-on nous dire, se méritent, tout comme les jeunes recrues doivent apprendre patience et abnégation. Et force est de reconnaître que la patience est récompensée. Le principe de la beauté plastique préside à tous les autres critères : par la variété des décors, instaurant à chaque fois une esthétique propre : sur les toits, de nuits, sur une cascade, dans l’architecture des temples, sur deux étages d’une auberge, dans une forêt de bambous : à chaque séquence sont exploitées les spécificités spatiales et visuelles du lieu.
Le travail sur le son, remarquable, combine percussion et bruit des lames fendant l’air à la délicatesse infinie des corps maîtrisés à la perfection : c’est sur du velours que se déplacent les protagonistes.
Car c’est bien évidemment sur cet aspect que Tigre et Dragon frappe les esprits : son affranchissement de l’apesanteur. Un an après Matrix, le magicien Yuen Woo-ping revient aux sources de son art et livre une partition mémorable : le ballet aérien est d’une maîtrise totale, et les adversaires dansent autant qu’ils s’affrontent. L’interaction entre leur lutte et l’espace est chorégraphiée à la perfection, particulièrement sur la dernière séquence au sommet des bambous. On a rarement atteint une telle grâce, une si grande délicatesse dans les déplacements.
Pour ces seules séquences, Tigre et Dragon est un film important. Allié à la mélancolie qui se dégage de son intrigue, il peut aussi parvenir à toucher, malgré certaines pesanteurs dans son équilibre général.