« Timbuktu » est le film qui devait être fait sur l'actualité brûlante du djihadisme barbare, qui s'est répandu comme une trainée de poudre au Moyen-Orient et en Afrique. Mieux encore, c'est un long métrage réalisé par un poète : au lieu de montrer l'horreur qui est l'apanage des extrémistes de tout poil (et au lieu de s'avilir comme eux dans cette complaisance de la violence), Sissako suggère, et nous offre un film d'une grande beauté formelle. Beaucoup de plans sont magnifiques, et il use avec talent du cinémascope. Il nous surprend même, quand son long métrage prend des atours de fable biblique ou coranique. Il oppose l'Eden du foyer familial, des époux et de leurs enfants, aux étrangers brutaux qui arrivent tout à coup pour semer le chaos et l'horreur (un exemple nous est donné avec cet homme qui mitraille une touffe d'herbes dans les dunes de sable, juste pour le plaisir et pour montrer sa puissance). Mais Sissako est un fin personnage : il nous représente les djihadistes comme ce qu'ils sont réellement, des pauvres hommes déracinés et fanatisés, qui préfèrent presque Messi et Zidane à Allah, qui ne peuvent s'empêcher de danser même si c'est proscrit, ou de fumer même si c'est interdit. Oui ce sont juste des hommes, embarqués dans une escalade de violence et de haine qui s'auto-alimente, sans échappatoire. La force du long métrage d'Abderrahmane Sissako réside surtout dans son humour, en ce qu'il montre avec humanité et bienveillance (certains le trouveront trop doux) l'absurdité totale du djihadisme tel qu'il est vécu par ces hordes de sinistres individus. Là encore il fait preuve d'intelligence lorsqu'il fait parler un imam face aux djihadistes, ce dernier leur expliquant que le djihad est avant tout intérieur, et mettant ces hommes qui n'hésitent pas à s'introduire armés dans une mosquée face à leurs contradictions. En quelques touches de pinceau, Sissako nous montre que les djihadistes ont tout faux, que leur Islam n'est pas le véritable Islam, que leur guerre n'est ni juste et encore moins sainte, en ce qu'elle brise des individus qui ne sont autres que leurs frères et sœurs, dans la foi comme dans cette nature humaine qui leur fait bien défaut. Heureusement nous dit Sissako, tout ce qui fait l'humanité : la bienveillance, l'amitié, le pardon, la culture, la musique, l'amour, tout cela survivra toujours à la haine et la violence de quelques individus. Puisse ce message d'espoir redonner courage à tous ceux qui souffrent encore aujourd'hui de la barbarie dans le monde...

Créée

le 21 déc. 2014

Critique lue 627 fois

3 j'aime

Arthur Debussy

Écrit par

Critique lue 627 fois

3

D'autres avis sur Timbuktu

Timbuktu
PhyleasFogg
8

Mea culpa ou savoir accueillir un film pour ce qu'il est.

Longtemps je me suis gardé de rédiger une critique à ce film. Le parti pris du cinéaste, qui de la dérision, à la folle poésie, finissait en mélodrame, échappait en partie à mon entendement. Je l'...

le 21 févr. 2015

58 j'aime

15

Timbuktu
Sabri_Collignon
7

Conte Africain en Terre Sainte!

Abderrahmane Sissako est l’un des rares cinéastes africains contemporains à pouvoir trouver sa place dans le gotha du « World Cinéma » et c’est cette reconnaissance, française en premier lieu, et...

le 15 déc. 2014

39 j'aime

6

Timbuktu
cinematraque
9

Monsieur et madame Buktu ont un fils...

Film Africain de la Sélection Officielle, Timbuktu s’annonce pour le moment comme la chair surprenante de la Croisette. C’est dans le désert Malien que le réalisateur Abderrahmane Sissako donne vie à...

le 16 mai 2014

18 j'aime

1

Du même critique

Mary et la Fleur de la sorcière
ArthurDebussy
4

« Kiki à l'Ecole des Sorciers »

Manifestement, il ne suffit pas de reprendre l'esthétique d'un maître pour l'égaler. C'est ce que les suiveurs et autres académistes apprennent à leurs dépens depuis la nuit des temps en matière...

le 24 févr. 2018

59 j'aime

12

Princesse Mononoké
ArthurDebussy
10

Le passage d'un monde à un autre

« Princesse Mononoké » couronne la carrière d'Hayao Miyazaki par bien des aspects. Peut-être son film le plus riche et le plus complexe, c'est également l'un des plus accomplis formellement,...

le 13 août 2016

36 j'aime

10

Il était une fois dans l'Ouest
ArthurDebussy
9

Western épique et lyrique

Vu une première fois, trop jeune, il y a longtemps, j'étais complètement passé à côté de ce film. Je m'étais dit « tout ça pour ça » ?! Je ne comprenais pas le concert de louanges qui entourait ce...

le 19 août 2020

32 j'aime

20