Mea culpa ou savoir accueillir un film pour ce qu'il est.

Longtemps je me suis gardé de rédiger une critique à ce film. Le parti pris du cinéaste, qui de la dérision, à la folle poésie, finissait en mélodrame, échappait en partie à mon entendement. Je l' étiquetais Beau autant que décousu, drôle, touchant, autant que maladroit. Bricolé.


Je le prenais de haut.
Du haut de ma cinéphilie occidentale traditionnelle pour être précis. De cette morgue ethnocentriste dont nul est à l'abri.


Et puis les événements sont arrivés, où nombre d'entre nous fûmes Charlie par réflexe de défense. L'horreur en arrière-fond, élément du décor dans le spectacle du monde était venu nous frapper, plein cœur, nous laissant désemparé.


Puis alors que le bouche à oreille sur ce film grandissait, on me questionna sur l'utilité de le montrer à des lycéens.
N'ayant pas une option suffisamment arrêtée, tout en le trouvant trop "léger" sur un sujet aussi grave,
encore sous le coup de l' émotion de cette violence qui nous était tombée dessus, je bottais courageusement en touche.


M'obligeant à réfléchir je dus me rendre à l'évidence, je reprochais au film de montrer les "barbares" comme ils sont vraiment, pantins ridicules à s'agiter ainsi.La scène de l' enregistrement de la vidéo, les discussions prosaïquement pathétiques sur les mérites respectifs de Zidane ou Messi.


Je faisais ma mauvaise bête de docte géopoliticien prof d 'histoire qui aurait voulu un film coup de poing rageur, montrant toute la barbarie dont ils sont capables, et ceux qui sont derrière, les financeurs, les recruteurs, les inspirateurs, les théoriciens, les têtes de ces poissons pourris. Un film qui donne la nausée, révulse, un film avec la griserie de la lucidité, un bon vieux film dossier façon années 70 , un film qui réveille les consciences, suscite la révolte .


A la place j'avais un objet de poésie, d'une humilité incroyable, qui refuse la posture du jugement et a placé sa caméra à hauteur des petites gens, dans le temps africain, ce temps qui n'est pas la nôtre et que nous pouvons pas comprendre si nous ne cherchons pas.


Les habitants de cette ville, ceux qui s'efforcent d' y vivre encore, avec dignité. Ceux qui se sont réfugiés dans le désert, dernière patrie des Hommes.


Et puis en face, des êtres misérables, perdus dans leur haine quasi enfantine, des égarés vendus au premier berger qui sait comment leur parler. il y a eux et il y a les autres; notre combat nous donne tous les droits de notre importance.
Je repense à la force des minorités agissantes dans l' Histoire, qui ont su exploiter des failles sociales parfois béantes, ces plaies d'où elles ont extirpé des bataillons entiers d'abrutis, de manipulés de toute sorte, forgés à la haine; Ils ne sont rien moins que des hommes, il n' y a que leurs actes barbares, petits et grands qui créent cette abîme entre eux et nous, ce vertige qui nous prend.


De toutes les forces de mes préjugés je m'étais fourvoyé.Là où je voulais un film sur les barbares, j'avais un film sur les habitants de la ville et leur humanité.Le regard d'un africain sur les africains face à cette menace. Je n'avais pas ce que je voulais voir alors avec mes œillères je minorais le film.


Ce film donne à voir la banalité de la barbarie, interdire à des gens d 'écouter, de jouer de la musique. Et eux en face de continuer, dans l'intimité du foyer.


Le film souffre de son urgence, de ce qu'il s'est fait dans le moment même où les choses se passaient. De sa volonté de dire, de témoigner, d'alerter, tout et plus encore. Je crois que Sissako une fois là bas s'est laissé déborder. Il a dit lui-même qu'il était parti avec un scénario un peu "léger", cela fera partie de sa légende.


Ce film est terriblement africain dans ses apparentes imperfections. Il nous en apprend plus malgré lui si nous voulons bien nous donner la peine de comprendre; Il est faussement accessible, avec sa splendide photo, cette dérision parfois empruntée à de grands cinéastes.


Après tout ce temps et ces autres films qui sont passé par dessus lui, il me reste de splendides images, et les visages, les émotions à fleur de visage, en toute pudeur, de grands acteurs inconnus.


Ce film, un pont entre ici et et Là-Bas.Entre les Hommes.
Non il n y a pas de choc de cultures.


PS: j'ai emmené deux classes de terminales voir ce film( quelques mois après le Bataclan...), et leur regard a conforté le mien. C'est un beau film sur les africains qui leur ouvert les yeux, avec humanité, sur ceux qui souffrent là bas, loin d'eux.

PhyleasFogg
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le 21 févr. 2015

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