Abderrahmane Sissako est reparti du festival de Cannes aussi discrètement qu'il est arrivé. Mais son film, Timbuktu, déserté du palmarès, a profondément marqué son empreinte dans le sable cannois.
Le film commence sur la destruction d'un art, les statues symboliques de la ville de Tombouctou, classé au patrimoine de L'UNESCO. La mort d'un art qui donne vie et souffle à un autre. Commence ainsi le portrait d'une ville qui a perdu toute identité. Lorsqu’ont débarqué les islamistes radicaux, imposant avec eux la Charia, la ville dans le désert du Nord Mali a tenté tant bien que mal à forcer son quotidien et continuer à vivre. Une des scènes marquantes de cette année montre les enfants de la ville jouer au foot sans ballon, que les même adeptes de Messi et Zidane leurs ont interdit. Abderrahmane Sissako filme ici le pouvoir du rêve, seule arme face à l’oppression et la résignation. Une scène qui légitime à elle-seule un film sur une actualité brûlante qui n'avait nulle besoin de pédagogie. Le cinéaste ne se contente pas de montrer la cruauté, mais d'y entrevoir l'absurdité, quand la terreur est menée par une équipe de bras-cassés. La visée d'une touffe d'herbe ressemblant au sexe d'une femme par l'un d'entre eux témoigne d'une frustration sexuelle peut-être à l'origine de cette mentalité. Sissako interroge plutôt qu'il dénonce.
Le geste de Sissako est davantage poétique que politique. Timbuktu est le portrait émouvant d'une situation édifiante. Entre les règles aussi terribles qu'absurdes que les islamistes tiennent à faire respecter, il y a l'effronterie. Un match de foot sans ballon, la folie d'une femme et l'amour de la musique. La forme du film entre en confrontation direct avec son fond. La lumière magnifique nous offre un paysage époustouflant où la violence la plus abjecte se confond. Ce contraste entre espoir et désespoir assure la mécanique poétique du film.
L'Afrique ne cesse d'évoluer, et Abderrahmane Sissako en est son plus grand témoin. En filmant les petits changements du quotidien d'un village de Mauritanie dans En Attendant le bonheur ou en rêvant d'une Afrique légitime dans Bamako. Ici on retrouve la poésie d'En Attendant le bonheur (qui aurait très bien pu être le titre de Timbuktu) en abandonnant l'ambition politique qui caractérisait Bamako. Si Timbuktu s'avère être un moment magistral de cinéma et de poésie, il lui manque cette évolution, ce regard d'une ville muée par le progrès ou la régression.