Premier passage de Gaspar Noé derrière la caméra : un film aussi rare que profondément représentatif d'une Oeuvre mêlant déviances, obsessions et tourbillons hallucinatoires. A mi-chemin entre le Eraserhead de David Lynch et la poésie surréaliste des premiers films de Luis Bunuel Tintarella di Luna porte en lui les germes du cinéma de Noé : à la fois modeste mais doué d'ambitions stylistiques ce court métrage nous plonge au coeur d'un village imaginaire en proie à la sécheresse et à la famine... On y suit le parcours d'une poignée de personnages racés, proche de l'univers des contes pour adultes, s'exprimant dans une gouaille préfigurant l'incessant soliloque du boucher de Carne et Seul Contre Tous - principalement à travers le personnage de l'amant dont le timbre de voix éraillé évoque celui de Nahon.
Du haut de ses 18 petites minutes Tintarella di Luna n'est rien de moins qu'une fascinante mise en abyme, introduit à la manière d'une fable proche de la parabole philosophique. Gaspar Noé assume entièrement ses influences, reprenant énormément de Eraserhead pour le travail sur le son et le Noir et Blanc granuleux mais également du Zerkalo de Andreï Tarkovski par l'entremise de la musique aérienne de Bach... L'atmosphère, sourde et chaleureuse, s'inscrit déjà dans un rapport à l'organique particulièrement concret ; le manque de moyens mis à disposition renvoie possiblement à la période mexicaine de Bunuel, dans ce mélange de pauvreté et d'efficacité faisant la marque de l'auteur de Los Olvidados.
Peu commenté, pratiquement introuvable et de fait quasiment invisible ce coup d'essai selon Noé annonce donc une Oeuvre sans concessions. Sa rareté est à envisager aussi bien du point de vue artistique que de celui de sa diffusion, somme toute très confidentielle. Entre animalité, nihilisme et douce ironie Tintarella di Luna est donc un premier film réussi et prometteur. A réhabiliter d'urgence !