La bande-annonce qu’on voit généralement une demi-douzaine de fois dans le but de nous donner envie et de nous allécher ne finit-elle pas par être complètement contre-productive, en ruinant la découverte et les surprises et en s’avérant (de plus en plus) le condensé du meilleur du film ? Ce constat qui s’applique davantage aux œuvres comiques et aux comédies, nous l’avions déjà posé en voyant La Fille du 14 juillet. Nous pouvons hélas le reproduire aujourd’hui avec Tip Top, la comédie sens dessus dessous et joyeusement déjantée de Serge Bozon.
À Villeneuve, dans le Nord, l’enquête policière menée par Esther Lafarge et Sally Marinelli, deux inspectrices de la police des polices suite au meurtre d’un indic d’origine algérienne n’obéit certes pas à une narration linéaire qui enchainerait les étapes successives de son avancée. Sans conteste, ce n’est pas ce qui intéresse le réalisateur de La France, plus enclin à prendre la tangente en se penchant sur le duo de femmes flics dont les comportements extra-professionnels intriguent leur collègue Robert Mendes : Esther pratique des relations SM avec son mari, tandis que Sally, mise au placard et mutée en province, est une voyeuse compulsive.
Tip Top joue donc des ruptures de rythmes, empilant des séquences qui sont loin d’être toutes réussies.
L’impression générale est bien celle d’un patchwork fourni, dont les coutures ont quelque peu tendance à s’effilocher. Si les pièces en sont donc nombreuses et pas très bien assemblées, elles sont à peu près toutes passés dans un bain qui dévitalise et blanchit jusqu’au terne (souligné par le gros grain ‘sale’ de la photographie) leurs tonalités. Interprétées par Isabelle Huppert (survoltée et vraiment excellente dans ce registre) et Sandrine Kiberlain (également parfaite dans son rôle de grande godiche en pleine crise de mimétisme mâtiné de fascination), les deux policières dans leur horrible uniforme bleu canard sont pâles et blafardes comme le sont les locaux du commissariat et les chambres contigües de l’hôtel qu’elles occupent. Ce parti pris esthétique – qui fait penser au cinéma de Ari Kaurismaki, convergence accentuée par les angles de prises de vues, les ambiances [notamment au café] et enfin la musique – pourrait bien vouloir marquer l’opposition entre les Blancs, représentant l’autorité et la loi, et la communauté algérienne. Un deuxième niveau de lecture, plus politique et plus caustique, que l’inoffensive apparence de l’ensemble.
Mais le film, loufoque et imprévisible, dont il vaudrait mieux, répétons-le, ne rien avoir vu au préalable, est d’abord un plaisir d’interprétation, un lieu réservé à des comédiens, non pas en roue libre, mais ravis d’y jouer et d’y tenir des rôles singuliers, réellement différents de la grande majorité de la production courante. Le côté bricolé, de guingois, renvoie au cinéma artisanal et joyeusement anarchiste de Jean-Pierre Mocky. C’est sans doute rendre le meilleur service à Tip Top de ne pas le propulser vers des sommets qu’il n’atteint pas, mais de le tenir pour une curiosité distrayante.